par Alegas » Mer 14 Aoû 2019, 13:59
C'est pas souvent que ça m'arrive, mais j'ai besoin d'un parler d'un truc qui me pèse pas mal ces derniers temps. Désolé si ça part dans le monologue un peu trop perso.
Il y a treize ans, j'entrais au lycée à Rennes, et au bout de quelques jours je me suis lié d'amitié avec une camarade de classe. En l'espace de quelques mois, elle est devenue ce qui s'approche le plus d'une meilleure amie, genre confidente de chaque instant (elle m'a ramassé un paquet de fois à la petite cuillère après des déceptions amoureuses), discussions passionnées entre nous, aucun secret l'un pour l'autre, passion partagée pour le cinéma (on était tous les deux en option audiovisuelle), bref pendant les années lycée on ne se quittait quasiment jamais, d'autant qu'on était tous les deux en internat donc à part les WE et vacances scolaires (où on arrivait quand même à se retrouver de temps en temps) donc autant dire qu'on se voyait vraiment beaucoup, sans jamais s'ennuyer de l'autre. On allait même jusqu'à rater certains cours ensemble juste pour mater du film. A cette époque, sincèrement, je pense que si on m'avait demandé qui était la personne qui comptait le plus à mes yeux ever, je l'aurais désigné sans aucune hésitation, je l'aimais plus que mes propres sœurs.
Ensuite, on est allé à la fac ensemble. Parce qu'on n'avait pas la même orientation (moi en arts du spectacle, elle en lettres) on se voyait déjà moins. Ça n'a pas empêché notre amitié de perdurer : d'une part on sortait énormément, de l'autre on a même réussi à se faire une coloc sur une année, qui n'a pas pu continuer parce qu'elle n'arrivait pas à suivre financièrement. Pendant cette année, elle a fait son coming-out, ce qui n'a strictement rien changé entre nous : à vrai dire, ça ne m'avait pas énormément surpris.
Au bout de quatre ans de fac, j'ai sérieusement envisagé le fait de quitter Rennes et de continuer mes études sur Paris, vu que je savais que pour le milieu du ciné, c'était the place to be. Dès que j'ai eu la possibilité administrative et financière, j'ai foncé. Avec mon amie, forcément, on se voyait moins, mais on gardait quand même contact.
On a eu beau se voir de nombreuses fois depuis, je sentais qu'il y avait peu à peu un feeling différent. De nature très engagée, elle s'est dirigée vers des associations de mouvements LGBT, faciles à trouver à Rennes, et chaque fois que je la voyais, elle était de plus en plus impliquée dans cette cause.
Sur le papier, aucun problème, je pense être assez ouvert de ce côté là, le truc c'est que j'ai vu ma meilleure amie se transformer peu à peu au fil des ans. Je ne saurais pas trop dire comment ça a commencé, mais le fait est que je me suis senti perçu de plus en plus à travers ses yeux comme quelqu'un de pas compatible avec les causes qu'elle défend.
Tout ça jusqu'à ce que ça débouche sur le genre de conversations où on me dit clairement que je suis un ennemi, car mâle blanc cis hétéro, et que je n'ai pas le droit d'en placer une parce que je suis privilégié. Des discussions pareilles, j'en avais déjà eu par le passé avec des personnes que je qualifierais d'un peu extrémistes dans leur façon de penser, mais de voir ce discours qui ne recherche aucune discussion de la part d'une amie qui, auparavant, adorait l'ouverture au débat, ça me fend le cœur.
Et je crois que le truc qui m'a complètement brisé, c'est de constater qu'elle a désormais honte de notre amitié. Elle évite qu'on se revoie, quand ça arrive elle trouve généralement des excuses pour écourter le temps passé ensemble, elle a mis très longtemps avant de me présenter la femme avec qui elle est en couple, et dès qu'il fallait que je rencontre un de ses nouveaux amis elle me disait cash qu'il fallait que je fasse attention à ce que je dis.
Le pire, c'est qu'il m'a fallu du temps pour constater tout ça. C'est vraiment un changement qui a pris des années, et un jour j'ai dû faire face à la triste réalité que à peu près tout ce qui composait mon amie d'autrefois n'est tout simplement plus là.
Ce matin, ma compagne me parle d'un statut facebook que mon amie a partagé, concernant la représentation des transsexuels dans le Rocky Horror Picture Show, et qu'il faudrait l'interdire pour ça. Je cherche à la trouver, nada : elle m'a complètement bloqué pour éviter que je commente ce genre de choses. Peut-être justement pour éviter d'afficher en public qu'elle a un ami mâle blanc cis etc... qui a peut-être une vision différente du sujet. Et quand j'essaye de lui en parler, elle évite complètement le sujet.
Quand ma compagne répond à la publication, en disant qu'elle ne trouve pas normal d'interdire une oeuvre d'art faite dans le contexte de son époque, mon amie lui répond sèchement que ça ne sert à rien que des personnes cis débattent sur le sujet.
Alors bon, des amitiés qui passent et qui finissent par s'effacer, des amis que j'ai perdu de vue, j'en ai déjà eu, et je l'ai plutôt bien vécu. Mais là, ça me tue complètement. Pour le coup, j'ai même pas l'impression que c'est l'oeuvre du temps qui passe, j'ai le sentiment d'avoir assisté à un lavage de cerveau étalé sur plusieurs années, à une transformation extrême que je ne pouvais qu'envenimer si j'essayais d'intervenir, de par ce que je suis.
Enfin voilà, je sais même pas quelle peut être la conclusion de cette histoire. Je suis à la fois affligé, profondément en colère et d'une tristesse totale.
"Our films were never intended for a passive audience. There are enough of those kinds of films being made. We wanted our audience to have to work, to have to think, to have to actually participate in order to enjoy them."
The Wachowskis