[Nulladies] Mes critiques en 2015

Modérateur: Dunandan

Kid (Le) - 8/10

Messagepar Nulladies » Dim 15 Fév 2015, 09:16

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The Kid, Chaplin, 1921



Pauvre père, qui êtes gracieux.

Dans la prestigieuse filmographie des longs métrages de Chaplin, The Kid tient une place un peu à part. De par sa valeur autobiographique, d’abord, lorsqu’on connait l’enfance du cinéaste et l’arrachement à sa mère alors qu’il avait sept ans. De par sa tonalité, par conséquence, le film occasionnant des séquences dont le pathétique est moins présent le reste du temps.
La réussite tient pourtant dans l’équilibre entre la comédie habituelle et la sentimentalité nouvelle, qui ne se jouera pas cette fois sur la traditionnelle histoire d’amour (qui, elle aussi, sait cependant générer de bien touchantes séquences, qu’on pense au réveillon solitaire du vagabond dans La ruée vers l’or) mais sur une inattendue filiation. La façon dont elle débute dit toute la malice de Chaplin pour la traiter, puisqu’elle permet une variation comique sur les moyens de se débarrasser d’un couffin dans une ville.
Film réduit dans son décor, c’est principalement dans les intérieurs et sur la place d’une ville que se déroule l’action : on y voit la cohabitation avec les voisins, et les petits arrangements avec la misère, vivier à astuces dont Chaplin a le secret. Tout le charme du film réside dans l’alchimie des deux personnages, et dans l’aisance confondante avec laquelle Coogan dédouble son père de substitution. La chorégraphie des repas, de la vie professionnelle du couple briseur/réparateur de vitres ou des combats (un match de boxe décliné chez les adultes puis les enfants) est superbe de fluidité et de complicité.
Lorsqu’il s’essaie au pathétique, Chaplin a l’intelligence de ne pas créer de rupture trop flagrante. Ainsi, le rapt de l’enfant ne se départ jamais des gags visuels qui jalonnent chaque seconde des séquences : bagarre avec les autorités, course sur les toits en alternance avec les pleurs du gamin permettent une émotion d’autant plus forte qu’elle poursuit l’attachement tendre et amusé du spectateur au personnage.
La séquence de rêve, juste avant l’épilogue, si elle occasionne de jolies trouvailles visuelles, ne s’insère que maladroitement dans le récit qui eut peut-être été trop court sans elle, mais dont on pouvait à mon sens se dispenser.

On a souvent loué la grâce infantile avec laquelle Chaplin a toujours campé son personnage, vagabond parmi les sédentaires, jeune et innocent écervelé parmi les adultes. The Kid confirme dans une certaine mesure cette assertion tant sa complicité avec l’enfant est évidente ; mais il est aussi l’occasion de faire de lui un père, conduisant son personnage vers des sphères autrement plus attachantes.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar osorojo » Dim 15 Fév 2015, 11:31

J'ai vu peu de Chaplin, mais j'ai vraiment beaucoup aimé celui là. Comment avec de belles idées, et un sens fou de la narration par l'image, le mec parvient à te toucher, c'est assez impressionnant. Une très jolie critique, encore une fois :super:
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Psychose - 10/10

Messagepar Nulladies » Dim 15 Fév 2015, 17:56

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Psychose, Hitchcock, 1961



“We all go a little mad sometimes”


L’incursion d’Hitchcock dans les abîmes de la perversité est une réussite magistrale. Alors qu’on aborde des sujets complexes et retors, c’est par une certaine économie de moyens que la construction du récit fonctionne.
C’est un film sur le solo. Certes, la séquence d’introduction, par une caméra intrusive (qui préfigure l’activité de voyeur de Bates) nous invite à observer un couple, et le personnage de Bates ne peut être envisagé sans sa mère.
Mais les séquences les plus importantes sont celles, maniaques, où l’on organise son projet. La fuite pour Marion Crane, le nettoyage pour Bates, l’enquête pour le détective. Chacun son tour, sans réelle autre continuité que celle de l’enquête, où les quilles tombent progressivement. De longues scènes souvent silencieuses évoquent la mise en scène millimétrée du réalisateur aux commandes. Froid, méthodique, il nous propulse dans des psychés motivées, et, pour les plus efficaces d’entre elles, fascinantes et effrayantes à la fois. Le choix du numéro de la chambre par Bates en est l’archétype : en une fraction seconde, tout a été décidé, la tragédie est écrite.
Pour les accompagner, une voix interne, off ou verbalisée, qui crée une illusion de dialogue et pose les bases de l’aliénation.
Bates, interprété par un Perkins tout en sourire de scout et voix douce, au regard de plus en plus intense, est un des immenses personnages de l’histoire du cinéma.
Dans un décor extraordinaire, où plus personne ne vient, seuls s’échouent ceux qui fuient ou ceux qui cherchent les disparus. La maison, lieu-personnage en surplomb sur le motel labyrinthique observe les protagonistes de ses fenêtres illuminées, aux prunelles fantomatiques tantôt irisées d’une silhouette inquiétante.
La construction des plans répond à la même logique perverse et obsessionnelle. Un léger décadrage, un gros plan inquiétant (Bates mâchant du chewing-gum, en contre plongée alors qu’il consulte, tendu, le registre scruté par le détective, une pure merveille), la montée d’un escalier en zoom arrière ou la plongée sur le corridor empêchant de voir le visage de l’assassin : tout fonctionne dans la densité, et la mise en scène, si elle est virtuose, n’est jamais ostentatoire, toujours au service du propos. A la scène saccadée de la douche répond ainsi le plan séquence d’observation des traces de la victime dans sa chambre.
L’équilibre de la construction renvoie bien évidemment à la maitrise absolue de ses névroses par Bates. Le souci du détail, qu’on retrouve dans les gros plans (le rideau de douche se détachant des œillets, la bonde, les oiseaux empaillés, jusqu’à l’écriture de Marion et les infimes fragments de ses calculs restés dans la salle de bain) accroit la fascination pour un monde glacial et machinal. La célèbre musique achève la tension, par cette rythmique soutenue et ses mélodies haut perchées qui trouvent leur acmé dans les scènes d’assassinats, hurlements à nouveaux maitrisés et effroyablement réguliers.
Certes, la séquence explicative finale plombe quelque peu l’intensité qui précède. Mais c’est justement son caractère discursif et didactique qui par contrepoint révèle tout ce qui suscitait la fascination du spectateur jusqu’alors : silence, gestes, déplacements et point de vue, soit la quintessence d’un cinéma pur, affranchi de ses modèles littéraires.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Mr Jack » Dim 15 Fév 2015, 18:29

:super:
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You have to believe.
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Opinion publique (L') - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Lun 16 Fév 2015, 06:30

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L'Opinion publique, Chaplin, 1921


Les lumières d’une autre ville.

1er long métrage de Chaplin en 1923, L’opinion publique tranche résolument avec la série de courts qui l’ont rendu célèbre, au point qu’il juge nécessaire d’avertir par un carton introductif qu’il ne joue pas dans le film à venir, et que celui-ci n’est pas une comédie.
Mélo moral, L’opinion publique débute par les amours contrariées dans un petit village de France où les pères, figures expressionnistes dans des escaliers menaçants, s’opposent à la jeunesse pourtant toute innocente, et les mères contemplent dans la douleur les départs qui en découlent.
Histoire d’un malentendu, le récit voit ne partir que la jeune fille, Marie, son amant restant auprès de sa mère suite au décès brutal de son père. Un brutale ellipse après ce prologue nous permet de réellement entamer le cœur du sujet : Marie est devenue une figure de la nuit parisienne, et Jean, devenu peintre, la retrouve et tente de renouer avec elle alors que tout les sépare désormais.
Si le mélo ne se distingue pas par une originalité particulière, le film permet une plongée dans les années folles assez intéressante, alliance de raffinement, de débauche et de luxe dans le monde parisien. A ce titre, le personnage le plus intéressante semble finalement Pierre Revel, joué par Adolphe Menjou, un dandy cynique incapable de sentiment, archétype de la vie facile que Marie a du mal à délaisser.
Le long métrage ne semble pas encore tout à fait maitrisé par Chaplin, le film s’essoufflant dans certaines lourdeurs et répétitions, patinant dans un pathos un peu excessif, même si le muet s’y prête souvent. Sur ce modèle, la résolution morale (retour à la campagne et altruisme pour les enfants des autres sous l’œil bienveillant du seul père qui vaille, le prêtre…) est un brin poussive, mais elle permet tout de même une belle image finale, celle où se croisent, sans se voir, les deux mondes, l’une, sauvée, sur une charrette, et l’autre, inamovible, dans une voiture filant à toute allure.
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Homme qui dort (Un) - 9/10

Messagepar Nulladies » Mar 17 Fév 2015, 07:49

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Un homme qui dort, de Bernard Queysanne & Georges Perec, 1974


L’ivre de l’intranquillité.

Un homme qui dort est avant tout un chef d’œuvre littéraire, dont on ne peine certes pas à légitimer l’exploitation visuelle tant il appuie sa poétique sur le visuel. Mais aux images du mentales du lecteur, il est souvent bien difficile de faire correspondre une pellicule univoque.
Au curieux choix du pronom « Tu » dans le roman, qui pouvait renvoyer à une écriture diariste ou interpeller directement le lecteur, Perec colle une voie de traverse d’une grande finesse : c’est une femme qui récitera le texte en voix off, tandis que le personnage à l’image n’ouvrira jamais la bouche, tout entier rivé à son projet qui fera l’exergue du grand roman de Perec, La Vie Mode d’Emploi, cette citation de Michel Strogoff : « Regarde, de tous tes yeux regarde ».
Acéré, d’une acuité maladive, l’hyperesthésie du personnage désireux de vider toutes les évidences de leur signifiance influe sur la mise en scène, qui commence presque comme un photo-roman. Repas, habits, composantes spatiales de la chambre qu’il habite et des objets qui la constitue, tout passe au crible d’une remise en question, et accède à une poétique du vide assez vertigineuse.
Spectre auteur de sa propre désincarnation, le protagoniste se défait de tout : « Tu es libre et tu ne choisis pas. Tu es le maitre anonyme du monde. Tu ne connais plus que ta propre évidence. »
Alors que sa quête prend de l’ampleur, l’exploration de l’extérieur s’enrichit de nouvelles donnes : une musique se substitue aux sonorités du quotidien, le mouvement s’invite dans une danse urbaine hypnotique. Récurrences, alternances et modulations épaississent la partition maladive d’une conscience qui se croit au repos parce qu’elle a cessé de jouer le jeu. Mais la rythmique de cette éthique épouse malgré elle celle du deuil : à l’indifférence, déni du réel (« cette illusion dangereuse d’être infranchissable »), succède la colère, puis l’acceptation.
Epique et frénétique, l’exploration de la ville se frotte alors aux autres, aux passants, à cette pulsation de vie qui se pose comme un obstacle et dénie la légitimité du projet initial. Admirablement rythmé, le film se déploie, tant dans ses mouvements que sa bande son, et confère à l’épopée muette d’un révolté ontologique.
Et l’échec qui le sanctionne, cette réconciliation imposée, refusera l’apocalypse tant souhaitée : « Pas d’issue, pas de miracle, nulle vérité ».
Etre un homme, c’est s’inscrire dans un flux qui nous dépasse. « Rien ne s’est passé, nul miracle, nulle explosion. Le temps qui veille à tout a donné la solution malgré toi. »

Splendide plongée dans les méandres de la conscience, Un homme qui dort parvient comme peu de films à restituer un parcours philosophique, et sa conclusion a la beauté de l’évidence : au temps qui passe répond sa maitrise, un temps durant, par l’art qui le fige ou le dilate, autant pour conjurer l’inéluctable que pour en extraire l’ineffable beauté.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Jack Spret » Mar 17 Fév 2015, 08:04

Pff le twist final est connu d'avance...


"- Ça vous dirait un petit échange dans la ruelle, derrière le bar ?
- Si c’est un échange de fluides corporels, je suis pas contre. Mais alors dans ce cas, tu passes devant."
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Peggy Sue s'est mariée - 4/10

Messagepar Nulladies » Mer 18 Fév 2015, 06:34

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Peggy Sue s'est mariée, Coppola, 1986


Le cas Nicolas Cage : nous étions pourtant prévenus.

Soyons honnête, je n’aurais jamais accordé un regard à ce film s’il n’était signé par l’un des géants de l’histoire du cinéma, dont la carrière est décidemment un bien grand mystère.
L’idée, réexploitée depuis avec de plus grands bonheurs, d’un retour dans le passé est un point de départ pour le moins séduisant. Il occasionne une bonne tranche de nostalgie de tonton Coppo, qui revit une fois encore cet âge d’or du teenage des 60’s. Si quelques menues scènes (la grand-mère au téléphone, les retrouvailles avec la sœur) semblent générer des embryons d’émotion, le tout se noie très vite dans une ineptie assez généralisée. Sans enjeu, sans épaisseur, le carton-pâte passéiste décline l’imagerie traditionnelle d’une galerie qui semble être un quartier de Disneyland. Mais le récit conduit en outre à une morale assez intéressante : notre femme mure dans un corps de lycéenne aura fait l’erreur de s’affirmer sexuellement ou d’aller goûter ailleurs du côté du beatnick pour mieux savourer le retour à la norme, à savoir un mariage à 18 ans et un pardon serein à la vie de merde qui l’attend, adultère et frustration au bout du tunnel temporel.

Non, la valeur de ce film est ailleurs. Elle nous conduit aux racines du mal, c’est un document d’archives précieux qui nous avertissait très tôt des ravages à venir.

Nous avons sous les yeux l’un des premiers grands rôles de Nicolas Cage.

Dès l’origine, sa coiffure est une flaque de vomi sur l’autel du brushing.

Sa première apparition, séminale, concentre toute la carrière future de la star : surjouer une descente d’escalier n’est pas donné à tout le monde.

Atrocement grimé lorsqu’on veut lui donner 40 ans, il chuchote et distend ses yeux de cocker fétide en bon père de famille lessivé par la vie et ses épaulettes crème.

Mais c’est bien là le moindre des maux : jeune, le voilà affublé d’une voix de castra au gasoil éreintant chacune de ses répliques.

Le silence comme solution ? Non. Cage, lorsqu’il ne parle, joue encore. L’inflexion ne faisant pas partie de son vocabulaire, c’est un stretching facial constant, faisant passer The Mask (Jim Carrey fait par ailleurs aussi ses débuts ici, éclipsé cependant par ce prestigieux jeune premier) pour un pasteur danois chez Dreyer. Il faut voir ces simples échanges où on lui parle, et où sa tête dodeline, sa bouche entrouverte tel un demeuré, marquant, apparemment, les émotions de son personnage.

Il fallait, à l’époque, avoir le courage de se lever et de dire « Plus jamais ça ».
Personne ne le fit.
Mais nous savions.

Cruelles leçons que celles de l’histoire et de ces erreurs dont nous n’apprenons rien : une prise de conscience aurait pu nous éviter sa carrière, et celle de James Franco.


Les preuves en image :

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Ruée vers l'or (La) - 9/10

Messagepar Nulladies » Jeu 19 Fév 2015, 07:16

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Chaplin, La Ruée vers l'or, 1925


After the gold crush.

La longue file des aspirants à la fortune qui serpente dans la glace en ouverture du film semble à bien des égards figuer, a posteriori, celle des foules qui se pressent à la projection du prodige Chaplin pour l’un de ses films les plus célèbres.
L’adversité est ici nouvelle : à la difficulté de s’insérer dans la ville succède ici un terrain plus aventureux, celui des rigueurs de l’Alaska. Le froid et la faim vont donc nourrir la dynamique d’un bon nombre de situations qui auront pour cadre principal une maison, unité de lieu fantastique qui va permettre toutes les déclinaisons comiques. Une pièce, trois portes, mille possibilités : le vent entre et sort, les habitants se pourchassent, aliénés par la faim, et l’on finit par faire tanguer le sol lui-même dans un numéro célébrissime de funambulisme sur une falaise.
Chaplin au faite de son inventivité ne se lasse pas de maitriser chaque détail : le moindre de ses pas fait l’objet d’une écriture chorégraphique, et le gage initial de la chaussure à manger occasionne une séquence d’un raffinement hors norme, où l’on déguste des lacets comme des spaghettis ou des clous comme les os les plus fins d’un poulet de choix.
La deuxième partie confronte un peu plus le vagabond au monde, et lui fait subir les affres de l’amour, cruel car il révèle son insignifiance et sa transparence, indispensable car il lui donne des ailes, notamment dans l’hilarante séquence durant laquelle il met à sac son intérieur d’enthousiasme irrépressible.
A l’aise avec son corps comme avec n’importe quel accessoire, capable de mimer la raideur du gelé pour susciter la pitié, c’est dans la séquence culte de la danse des petits pains qu’il atteint le sommet de son art : chef d’œuvre absolu de maitrise et de raffinement, il faut observer, en plus de la grâce des mouvements, la façon dont son visage habité accompagne cette chorégraphie unique. Indépassable, on retrouve dans cette scène la quintessence du génie de Chaplin.
Alors que, une fois n’est pas coutume, le vagabond finit par faire fortune et quitter ce lieu austère, la pirouette qui permet une fin plus heureuse explicite bien la poétique chaplinesque : les retrouvailles avec son amour s’affranchissent de toute réussite sociale. C’est bien déguisé en vagabond, et pris pour un clandestin, qu’elle lui avoue son amour, permettant un final qui n’écorne pas la figure désormais inaltérable du clochard céleste.
De l’or, il ne reste pas grand-chose, à peine un cigare qu’on aura tôt fait de remplacer par un mégot trouvé au sol. Les pépites sont ailleurs : dans les yeux des spectateurs.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar osorojo » Jeu 19 Fév 2015, 09:20

Joli cycle, par contre, à les enchaîner, ça te pèse pas un peu ce manque de voix ? :mrgreen:

Une belle critique pour ne pas changer :super:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Jeu 19 Fév 2015, 09:27

osorojo a écrit:Joli cycle, par contre, à les enchaîner, ça te pèse pas un peu ce manque de voix ? :mrgreen:


Nan, ça va, j'alterne en fait, ça c'est avec les gamins, de mon côté j'équilibre avec des trucs qui parlent en couleur. :D
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Lumières de la ville (Les) - 9/10

Messagepar Nulladies » Ven 20 Fév 2015, 06:35

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Chaplin, Les Lumières de la ville, 1931



Cécité of lights

En 1931, Chaplin a bien conscience de ce qu’il représente pour le cinéma, et la séquence d’ouverture des Lumières de la Ville en atteste : il est un monument. Il est donc logique qu’il rivalise avec ceux que la ville érige à ses morts pour la patrie, en y insufflant la vie et l’inventivité dans un numéro ébouriffant où chaque élément de l’ensemble minéral est asservi à son comique.
Le deuxième enjeu est de taille : il s’agit de l’évolution de son art. Que deviendra l’icone du muet à l’ère du parlant ? Pied de nez habile, le discours des hommes politiques est restitué dans un babillement incompréhensible, dénonçant autant la vanité des dirigeants que la fatuité de la parole face à la chorégraphie de Charlot. Le son ne sera pas nié, pour peu qu’il alimente le comique, et Chaplin saura l’exploiter, qu’il avale un sifflet ou joue avec le gong du ring de boxe, ou qu’il accompagne de bruitages l’aspiration de spaghettis…

Les Lumières de la Ville, par rapport aux longs métrages précédents, n’a pas de sujet fort sur lequel viendrait se greffer une batterie d’effet, comme le cirque ou le froid de l’Alaska. Ici, tout passe par le regard poétique posé sur la banalité de l’urbain. Dès le départ, Charlot est en position de voyeur : de la femme en bronze dans la vitrine, puis de l’aveugle dans la rue et enfin à l’intérieur même de son appartement. Sauveur presque involontaire, il empêche les suicides et les expulsions, se sacrifie doublement dans une logique qu’on retrouve souvent chez Chaplin : celle du héros qui ne l’est que pour le spectateur, et qui reste un inconnu pour le compagnon devenu sobre ou la femme ayant recouvré la vue.
Cette quête de l’identité nouvelle du vagabond, déjà bien présente dans le cirque, fédère ici tout le récit : boxeur, millionnaire, Charlot joue sur tous les tableaux, et y excelle à chaque fois par sa maladresse et son sens de l’honneur. Si l’on peut reconnaitre un petit creux dans le centre du film, les soirées avinées étant un brin répétitives et alignant des gags certes efficaces, mais décrochés du récit principal, le splendide match de boxe, jeu d’esquive, chorégraphie burlesque à trois, l’arbitre devenant malgré lui un combattant, vient relancer l’attention.

Mais c’est évidemment le mélodrame qui vient hisser ces Lumières de la ville vers les cimes.
Alors qu’il bataille avec l’irruption du son dans son art, Chaplin fait du visuel le cœur même de son récit : la connaissance par le cœur du généreux et faux millionnaire, la reconnaissance par les yeux du vagabond. Alors qu’il avait fait l’aumône à cette fleuriste esseulée, l’inversion des rôles dans le final est d’autant plus émouvante qu’elle est la conséquence de son sacrifice. Après les pirouettes et les cabrioles, l’heure est venue d’ouvrir les yeux :
You can see now ?, demande-t-il.

Yes, I can see now, répond-elle.

Et leurs yeux brillent.

Et les nôtres aussi.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Chuck Chan » Ven 20 Fév 2015, 18:02

Très bien écrit.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Sam 21 Fév 2015, 05:59

Merci à toi.
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Temps modernes (Les) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 21 Fév 2015, 06:56

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Les Temps Modernes, Chaplin, 1936.



Well done to the Machine.

Pour sa dernière apparition à l’écran, le personnage de Charlot ouvre les yeux sur le monde qui se métamorphose autour de lui. Annoncé comme un ouvrier dans le générique, il opère un cheminement inverse du schéma traditionnel, qui le fait quitter son statut de vagabond pour tenter des intégrations dans la communauté.
Ici, c’est donc un mouton parmi les autres, même si les troupeaux, le premier plan l’annonce avec malice, contiennent tous un individu qui se démarque par sa couleur. Et de la modernité, Chaplin dénonce avec un comique assez radical les effets dévastateurs sur l’individu. Le thème récurrent de la dévoration traverse ainsi tout le film : les machines rivent les hommes à la tâche, les réifient, cadençant leurs gestes, voire les nourrissent : Charlot mange des boulons, son chef se fait nourrir alors qu’il est lui-même mangé par les engrenages, et l’acte même de manger subit l’automatisation par l’invention d’une machine qui a tout d’un instrument de torture visionnaire, et que doit particulièrement affectionner l’auteur de Brazil, tout comme la multiplicité des écrans de surveillance, y compris aux toilettes…
Cette uniformisation dépasse le cadre strict de l’usine : en prison, on marche aussi au pas, et ceux qui tentent de contrer l’ordre établi, les grévistes, sont sévèrement réprimés. Et même lorsqu’il trouve un nouvel emploi de gardien de nuit, Charlot finit, ivre malgré lui de toutes les richesses qu’il surveille, par devenir un produit, endormi au milieu des tissus sur l’étalage.
Dernière astuce, celle d’un autre rapport à la modernité face à laquelle Chaplin doit faire des choix radicaux : le son. En vigueur depuis dix ans, alors que le cinéaste lui donnait 6 mois de vie, il ne peut plus en faire l’économie. On sait qu’il a commencé une version entièrement dialoguée du film, et qu’il a renoncé au bout de quelques jours de tournage. La parole étant l’apanage de la modernité, il l’inclut donc à partir du moment où elle est enregistrée, et la plupart du temps, au profit des industriels : publicité à la radio, messages vidéos du chef d’entreprise pour augmenter la cadence, démonstration de la machine à nourrir… Malin, Chaplin ne nie pas l’air du temps, mais l’asservit clairement à un propos qui fustige la modernité galopante tout en préservant son âme, celle du pantomime universel.
La charge est donc violente. Face à ce monde, un seul recours : l’anarchie poétique. Au mouvement atrocement linéaire de la chaine, la chorégraphie destructrice d’un employé devenu fou. (On remarquera l’astuce acide de Charlot dans cette scène, qui pour échapper aux ouvriers qui le coursent, relance la chaine, les obligeant, en bons automates, à reprendre le travail…) En réponse à la famine, l’apparition d’une pirate au charme ravageur, Paulette Godard et son couteau dans la bouche, sa danse urbaine dont l’espoir est l’unique énergie.
Leur couple sera l’antidote à l’uniformisation : leurs rêves, une vision acide de l’american dream, qu’on s’amuse dans un grand magasin ou qu’on fantasme le home sweet home avec autant de sourire que d’amertume. Bricolage, précarité, allées et venues entre prison et emplois divers, la vie refus aux complices une quelconque stabilité.
Le sommet du film ne sera ainsi pas l’aboutissement d’une quête, mais la fameuse chanson de Charlot-serveur. Cette splendide idée le contraignant à enfin ouvrir la bouche est la pirouette suprême de Chaplin face au parlant : incapable d’apprendre les paroles, éjectant dès le départ des antisèches car la gestuelle, sa danse, prend évidemment le pas sur son chant, il livre un numéro d’anthologie dans lequel la langue imaginaire n’est qu’une béquille d’une pantomime toujours plus gracieuse.
A l’origine, Les Temps modernes devait mal se terminer : Charlot, atteint d’une dépression nerveuse, ne pouvait empêcher la gamine de rentrer dans un couvent, et ils ne se reverraient plus. Chaplin l’a donc modifié sur une fin plus ouverte, dans laquelle l’institution s’acharne tout de même à leur refuser une quelconque stabilité.
La route qui s’ouvre au couple est loin d’être un remède à la violence du monde qui ne cesse de les ingérer et les recracher.
Il reste le mouvement : le courage du parcours, et la grâce avec laquelle il est entrepris : Chaplin le maitrise comme personne, et continuera, quoi qu’il en soit, à patiner au bord du gouffre.
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