[Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Modérateur: Dunandan

[Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Messagepar Velvet » Ven 13 Jan 2017, 20:37

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Janvier 2017
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Nocturnal animals - 8/10

Messagepar Velvet » Ven 13 Jan 2017, 20:42

Nocturnal Animals de Tom Ford (2017) - 8/10


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L’écriture peut être une arme redoutable dans la construction machiavélique d’une vengeance. Le pouvoir de la plume a cette force de faire resurgir en chacun de nous les pires angoisses et a surtout, cette faculté de faire miroiter l’imagination. Ce ne sont plus les mots qui dévoilent des sentiments mais ce sont des sensations qui définissent le verbe. Les corps dénudés du générique ne sont qu’un mirage. Avec Nocturnal Animals, Tom Ford raconte le récit en puzzle, d’un homme qui à travers un livre récemment achevé va de nouveau marquer l’esprit de son ex-femme. Le réalisateur de « A Single Man » décide avec cette œuvre de dépasser sa simple condition de styliste et d’esthète de la mise en scène pour s’acheminer vers quelque chose de plus complexifié. Avec cette intrigue à tiroir qui se joue des temporalités et des identités, Tom Ford fait d’une histoire toute simple, une aventure amoureuse tortueuse qui mêle vengeance psychologique et amertume du passé.

Car le postulat de départ est d’une simplicité enfantine : une femme travaillant dans une galerie d’art se met à lire le livre que son ex-mari vient de lui envoyer. A partir du faux dans lequel elle vit, la vérité va s’émanciper où il sera question de refoulement et d’inconscient. Alors que dans le passé, elle trouvait son travail barbant voire autocentré, cette nouvelle copie va faire naitre en elle des émotions différentes. A partir de cette ébauche, Tom Ford donne du piment à son film en mettant en image le récit même du livre, imbriquant une histoire dans l’histoire. Et de cette minuscule idée, Nocturnal Animals bascule d’atmosphère mais avant tout de point de vue : nous ne sommes plus à la place du narrateur mais nous voyons le récit d’Edward imagé par la conscience de Susan. Où se cache la vérité dans tout ce capharnaüm ? Alors que Nocturnal Animals nous propulsait dans l’univers froid et feutré de la vie guindée et frustrée de Susan, l’abime du livre nous emporte dans un décorum aride et violent d’un désert sablonneux du fin fond de l’Amérique où le danger n’est jamais caché bien loin.

Premièrement cette distinction du chaud et du froid, de la lumière et de la pénombre, de la froideur de Susan face à l’éruption des sentiments d’Edward éclaircit les intentions mêmes du cinéaste : faire un film qui ne fait qu’immiscer de multiples symboliques dans un scénario qui prend alors tout son sens. Sauf que vouloir ériger son récit en une intrigue à plusieurs niveaux de lectures par le biais de l’image et de l’interprétation même de la symbolique peut être un jeu dangereux notamment lorsque l’on est un réalisateur aussi plasticien que Tom Ford. Certains pourraient y voir beaucoup d’esbroufes ou même un surlignage intempestif des signaux. Mais à l’instar d’un Nicolas Winding Refn, notamment dans The Neon Demon, Tom Ford acclimate sa mise en scène face à l’artificialité du monde de la mode et se joue des codes du genre pour délivrer une œuvre surprenante en beaucoup de points. Comédie romantique, thriller, rape and revenge, mindfuck : Nocturnal Animals mange à tous les râteliers sans jamais trébucher grâce notamment à des qualités cinématographiques idéalement orchestrées. Avec un casting notable entre une Amy Adams aussi pulpeuse que sèche, et un Jake Gyllenhaal aux différents « visages », Nocturnal Animals affiche une vigueur et une intransigeance qui fait tout le sel de son environnement.

En la présence de Jake Gyllenhaal, il est intéressant de faire le lien entre l’œuvre de Tom Ford et le tout récent Enemy. Mais là où le film de Denis Villeneuve n’arrivait jamais à s’extirper de sa propre utilisation du miroir imaginaire, Tom lui avance ses pions avec minutie et fait de Nocturnal Animals une œuvre aussi visuelle que parlante : malgré la simplicité de l’accroche voire même de la banalité du cheminement, le montage alterné devient le moteur de tout l’intérêt véhiculé par le film. Nocturnal Animals n’aurait pu être qu’un simple exercice de style ou qu’une coquille vide à l’esthétique outrancière. Mais il n’en est rien : le livre d’Edward est un double maléfique, une représentation des turpitudes qui ont accompagné Edward pendant son processus d’écriture, qui se transposent parfaitement au passé amoureux du couple. Et c’est donc à travers la flamboyance de la mise en scène de Tom Ford que le parachutage des émotions se fait ressentir : un être blessé, aux nombreux regrets comme celui d’avoir été faible et de n’avoir pas pu garder sa relation ; à l’image d’un père qui n’a pas pu sauver sa fille et sa femme.

Au fil du récit, les pièces de l’engrenage se rassemblent pour ne faire qu’un et l’on voit alors une femme qui se meurt dans la superficialité de son existence mondaine se confronter à ses propres choix : un désir renaissant mais une peur bien palpable entourés d’une culpabilité qui n’a pas disparu malgré le temps qui passe. Tom Ford articule sa prophétie dans les moindres détails, cajole son empreinte scénaristique d’une empathie distante mais assez sincère pour être émouvante. Comme beaucoup de cinéastes à l’esthétique recherché, Tom Ford placarde un peu trop ses velléités, surplombe parfois ses symboliques (le tableau marqué « Revenge ») mais au contraire d’un Christopher Nolan, il ne tombe pas dans la surenchère d’explication littérale. De ce fait, malgré son aspect ostentatoire, Nocturnal Animals s’octroie une bulle de brumes, garde ses zones de mystères et décèle un venin énigmatique presque Lynchien.
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31 - 3,5/10

Messagepar Velvet » Jeu 19 Jan 2017, 12:00

31 de Rob Zombie (2016) - 3,5/10


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L’idée de départ paraissait prenante mais le résultat est tout autre. 31, malgré ses quelques qualités, s’apparente à une parodie du cinéma de son réalisateur qui nous apporte sur un plateau une sorte de best of du pauvre de tous ses gimmicks. Dotée d’une architecture binaire qui prend les rouages d’un survival à l’univers freaks se déroulant dans une aire de jeux grandeur nature, l’œuvre de Rob Zombie se construit de façon discordante. Après un début prometteur qui voit un clown fou nous balancer en plein visage un monologue crasseux d’une dizaine de minutes, le métrage change de braquet et se recentre sur une petite bande de jeunes gens justes bons à devenir de la chair à canon dans un espace clos, pour le petit plaisir d’un groupe de Robespierre du dimanche. Non sans rappeler American Nightmare version redneck. Pour se faire, cette petite milice enragée fait appel à des freaks baroques (ou horripilants) pour se divertir et tuer les personnes qu’ils trouvent sur la route. Alors que les tortionnaires s’amusent en regardant cette petite sauterie à couteaux tirés, ce n’est pas forcément le cas du spectateur qui attend avec une certaine irritation la moindre parcelle de tension dans un film qui en manque allégrement. Au programme des réjouissances : une photographie qui s’approprie la typologie sombre des lieux mais qui lisse un peu l’aspect trash de l’œuvre. Mais au-delà de cela, le scénario maigrelet du film n’arrive pas à dissimuler par le non divertissement de 31. Alors que la péloche aurait pu nous en mettre plein la mirette, on reste sur notre faim notamment à cause de freaks un peu trop mous de la chique (un nain nazi, sérieusement ??). Le casting sauve parfois un peu les meubles, et le film a le mérite d’adjoindre à son récit un vrai jeu du chat et de la souris qui s’avère équitable et qui équilibre les forces entre les victimes et les fous furieux, offrant quelques saillies sanguinolentes appréciables. Mais 31 se vautre dans ses grandes largeurs : ses qualités cinématographiques se font rares. Sa réalisation un peu pataude devient épileptique à presque chaque combat au corps à corps. Illisibles, les intentions gores ou trashouilles s’amenuisent d’elles-mêmes et l’effet horrifique tombe à plat à presque instant. Ce ne sont pas les dernières minutes du film qui voient le retour du clown sadique, qui vont sauver le tout du marasme. Dommage car l’intro et la conclusion valent le coup d’œil par l’aspect macabre de ce clown aussi grotesque qu’effrayant mais le reste fait un peu de peine.
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Film: 31
Note: 6/10
Auteur: Jimmy Two Times

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Re: [Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Messagepar Mark Chopper » Jeu 19 Jan 2017, 12:32

Dommage car l’intro et la conclusion valent le coup d’œil par l’aspect macabre de ce clown aussi grotesque qu’effrayant mais le reste fait un peu de peine.


Il fallait en faire le personnage principal. Le mec a un charisme de malade (son retour sur Dream On :love: )
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La La Land - 7,5/10

Messagepar Velvet » Ven 20 Jan 2017, 20:53

La La Land de Damien Chazelle (2017) - 7,5/10


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C’est comme un ogre qui dévaste tout sur son passage ou un rollercoaster qui aplatit la moindre parcelle de bitume : le dernier film de Damien Chazelle, et la hype qui l’entoure, sont connus de tous. Et la rafle des prix qui arrivent va dans ce sens-là. Whiplash a laissé des marques : les bruits de fûts résonnent encore dans le tympan du spectateur que nous sommes. Et sans nous décontenancer, le réalisateur américain reste dans la même thématique : celle de la musique. De cette dernière, le cinéaste va construire une comédie musicale (ou pas) aussi vintage que moderne qui transpire l’amour de la musique et la nostalgie d’une certaine forme d’art. Cette fois ci, l’américain joue la carte du romantisme plutôt que celle de la violence. Malgré tout, Whiplash son précédent film, et La La Land, fonctionnent tous les deux autour d’un duo. Alors que le premier voyait s’émanciper une relation tyrannique entre un professeur totalitariste et un élève forcené au travail, La La Land ne s’inscrit pas dans cette démarche anxiogène et physique. Non, Damien Chazelle décide de manier avec simplicité et douceur un couple de rêveurs qui gagne à être connu. L’histoire simplette de deux personnes tombant amoureux mais voulant s’octroyer leurs moments de gloire. Sauf que les deux films ne sont pas si éloignés que cela dans leur finalité même, quant au poids de la musique et l’intransigeance du travail ou quant à la place de l’art en général et les concessions d’une vie.

Dans l’architecture de cette œuvre qui surnage entre légèreté amoureuse et amertume identitaire, les rêves ne sont pas si fantomatiques que cela. Au contraire, ils deviennent de plus en plus opaques avec le temps : comme une chimère qui s’étend jusqu’à ne plus voir l’horizon. La La Land est une petite balade symphonique, aux chorégraphies musicales attendrissantes, qui illustre avec un certain charme, les sacrifices opérés par deux artistes qui veulent s’épanouir et se reconnaitre en tant que tels : ceux de la jeune Mia qui rêve de franchir les planches du cinéma et ceux de Sebastian, pianiste, qui songe à ouvrir son propre club de jazz. Mais entre les divers recalages durant d’éphémères castings et l’ennui mortifère de multiples sessions dans de lymphatiques piano bars d’opérette, leur avenir radieux s’éloigne de plus en plus d’eux-mêmes. Pour se faire, Damien Chazelle délaisse un peu sa mise en scène rugueuse voire doloriste pour laisser s’échapper une réalisation plus souple, qui s’acclimate plus aux pas de danses euphoriques qu’au martèlement des caisses. A l’image de cette première séquence sur le bord d’autoroute qui voit tous les automobilistes sortirent de leurs voitures pour danser et chanter leur amour de la musique dans un défilé de danses aussi contemporaines que classiques. La diversité artistique, la liberté définissent l’œuvre. Cette scène, qui donne le ton du film, lance l’œuvre sur les chapeaux de roue. Mais qu’on se le dise très vite, La La Land n’est pas une comédie musicale aussi perchée ou survitaminée qu’un Moulin Rouge de Baz Luhrmann.

Le film de Damien Chazelle est un doux cocktail rafraichissant qui reprend les codes onduleux de la comédie musicale avec son atmosphère jazzy et son esthétisme calfeutré. Plans fixes, travellings, mouvements circulaires, Damien Chazelle quadrille sa mise en scène et allège son montage, devenu moins frénétique pour cette fois ci, s’appesantir sur la complémentarité de son duo composé de Ryan Gosling et Emma Stone. Qui fait ici, des merveilles entre la fougue juvénile de Stone et la folie cadenassée de Gosling. Entre moments musicaux sous les notes minimales de piano ou les apostrophes de trompettes et une narration habituelle d’une romance, La La Land est dotée d’une respiration cinématographique adéquate qui permet de plaire aux personnes férues de comédie musicale comme de satisfaire les allergiques au genre. Car si la musique est le fil rouge du film, elle n’est jamais agencée comme un simple bouche trou mais devient même un lien entre les deux personnages voire même un motif d’incertitude. Malgré les notes de piano qui marqueront à jamais l’une de leurs premières rencontres, la frontière est étroite entre amour et ascension. Dans la simplicité de ses traits, l’écriture de Damien Chazelle ressemble parfois à celle d’un Woody Allen dans l’élégance désuète et rétro de ses personnages. Et c’est peu dire que Damien Chazelle a un peu rentré les crocs par rapport à ce qu’il avait fait avec Whiplash et sa vision besogneuse de la musique. Derrière la recherche de perfection qui parfois nuit au sentiment de douceur du film, La La Land inspire une sympathie et une empathie inévitable.

Sans tomber dans la pastiche parodique d’Hollywood comme l’avait fait Michel Hazanavicius avec The Artist, Damien Chazelle perd un peu de son mordant avec sa trame conventionnelle, lissée, académique, pour dérouter son auditoire comme il avait pu le faire avec la scène finale de Whiplash. Alors qu’il était un peu le rebelle de la classe, c’est à se demander si Damien Chazelle n’a pas voulu enfiler le costume du premier. Mais ce qu’il perd en férocité, il en gagne en beauté. Notamment dans son esthétisme fantomatique et nocturne, dont l’utilisation de la lumière aussi criarde que sombre ressemble à s’y méprendre à celle de Coup de Cœur de Francis Ford Coppola et cette plongée dans un Los Angeles aux reflets nébuleux. Puis, La La Land dose ses émotions et dispose d’une richesse acidulée notamment par le discours qu’il entreprend autour de son personnage de Sebastian, qui a parfois des allures de Llewyn Davis du métrage des frères Coen avec sa vision puriste de la musique et l’intégrité artistique face à une nouvelle génération de music-hall. La La Land parle de cette passion dévorante, d’un amour qui doit laisser place au bonheur de l’autre. Elle le sait, il le sait : sans lui, sans elle, ils n’auraient pas eu le courage de passer le cap. Mais cela a un prix. Entre l’art et la passion, il faut faire un choix. Et c’est de cette petite rengaine délicate, de cette simple idée que le film de Damien Chazelle confère à son œuvre une aura douce-amère qui érige des étoiles hollywoodiennes aux souvenirs et regrets intarissables. Tout comme Whiplash, La La Land se finit par un regard : un entrebâillement à la fois de mélancolie et d’enivrement.
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Jackie - 9/10

Messagepar Velvet » Mar 07 Fév 2017, 19:54

Jackie de Pablo Larrain (2016) - 9/10


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L’ampleur d’un deuil est souvent difficile à déchiffrer : le sang coule mais l’esprit se disperse de tous les côtés. Un magma de souvenirs s’éparpille pour déceler le vrai du faux, surtout dans les hautes sphères de la politique. Après l’assassinat de son mari, le Président des Etats Unis, Jackie Kennedy va devoir garder la tête haute pour s’occuper de la suite des évènements, notamment des funérailles de son défunt mari. La femme au sourire béat devient la martyre recollant les morceaux de cervelles du Président. A partir de ce postulat que tout le monde connait plus ou moins, Pablo Larrain décide de décrypter l’Histoire par le petit bout de la lorgnette : où la mythologie d’un Président se voit créer par les larmes séchées et l’abnégation d’une femme qui marche dans la boue pour trouver une place digne de ce nom aux dépouilles. Autour d’une table, Jackie Kennedy décrit cette courte période lors d’une interview face à un journaliste plutôt curieux. Entre les deux, un jeu du chat et de la souris sur ce qu’il faut dire ou écrire va s’instaurer, presque un huis clos de domination.

Durant ce dialogue qui voit la mémoire de l’ancienne première dame se déchirer, Pablo Larrain prend en grippe le genre du biopic en rétrécissant l’espace-temps de son film : quelques jours d’une vie qui vont tout changer. Le réalisateur évite tous les pièges du patriarcat vainement solennel du genre pour se questionner sur la vérité d’une Histoire. Mais ce mot a une définition bien délicate à prendre en compte. Que va-t-on voir ? L’Histoire tirée des livres ou celle entraperçue à travers l’écran cathodique, celle du regard d’une femme ou celle entretenue entre une épouse qui se censure et un journaliste perplexe ? Au final chaque versant de l’intrigue a son propre mot à dire où au fil des minutes, l’emboitement des récits devient plus réel que la vérité elle-même et où la conscience collective se ramifie au subconscient d’une femme meurtrie. De ce fait, le cinéaste égratigne le sens même de la notion de vérité et décrit simplement la confession même d’une entité en plein chaos.

C’est ce qui fait la puissance narrative de Jackie où Pablo Larrain superpose les points de vue tout en ne perdant jamais en point de mire : le portrait, l’étude de caractère d’une femme poursuivi par la mort. De sa caméra dont l’image s’avère granuleuse, le réalisateur s’écharpe à densifier les émotions physiques de son actrice, que cela soit en gros plan de manière portraitiste ou expressionniste rappelant à certaines reprises La Passion de Jeanne D’arc de Dreyer, ou en plan large la voyant isolée autour d’une immensité déconfite. Il est difficile de ne pas penser à Black Swan : de par la présence de Nathalie Portman en tête de gondole et dont l’iconisation se veut morbide mais surtout par cette velléité de triturer le physique rêche de son actrice, une mutante aux reflets discontinus et de magnifier les sacrifices effectués dans l’ombre de la mort de son époux. Pablo Larrain essaye d’apporter son regard sur le rôle ingrat d’une première dame mais ne tombe pas dans la facilité du portrait à charge ni dans la propagande militante.

Non, Jackie est une œuvre tentaculaire, qui derrière la fausseté guindée des apparitions télévisées d’une femme serviable et utilisée comme un meuble de la Maison Blanche, montre l’arrière du décor d’un stratagème politique et humain qui se cache dans la construction du mythe qu’est John Fitzgerald Kennedy. Et ce point de vue-là, Jackie est d’une richesse tétanisante. De par cet évènement tragique, Pablo Larrain va nous raconter qui se cache derrière le masque fissuré de Jackie Kennedy, sachant qu’il est beaucoup question de visage dans Jackie comme en témoigne cette scène symbolique de maquillage avant l’atterrissage de l’avion : une personne qui se confond dans trois reflets différents. Alors qu’elle s’interroge sur la femme qu’elle est et le rapport distant avec son époux, sur la férocité sanguinolente qu’elle doit afficher vis-à-vis de ceux qui voulaient la tête de son mari (les pancartes « Wanted ») ou sur la sécurité de ses enfants, Pablo Larrain avec son montage éclaté et sa chronologie vacillante ne cesse de disséminer des pistes, des indices sur des parts d’ombre pour façonner Jackie Kennedy : un être miroir passionnant à la fois de froideur et de pugnacité tout en ayant cette amertume de la perte.

Car Pablo Larrain gratte le verni d’une famille qui suinte la mort et la culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur, celle d’arrivistes riches et célèbres qui logent dans les appartements de plus grands qu’eux et dont les acolytes politiques sont devenus des vautours humant la chair fraiche. Quels tracent ont-ils laisser derrière eux ? La dignité face à la mort et celle de vouloir tirer le gouvernail de la grandeur de l’Amérique. Par de là cette faculté à ériger le portrait d’une femme, Pablo Larrain crée une œuvre monde : où le petit récit devient grand, où chaque scène, chaque dialogue dépeint une description bien précise, notamment dans ce dialogue entre Jackie et son prêtre qui d’un point de vue thématique et visuelle sont presque Malickienne.

La rigidité et la froideur du cadre de la réalisation de Larrain peuvent paraitre rédhibitoires sur le coup, mais accentue ce sentiment mortifère qui tapisse l’œuvre dans son entier, sans parler de la musique mélancolique de Mica Levi. En parlant de cette dernière, il n’est pas anodin de la voir à la tête du travail sonore du film, tant Jackie dévoile par moment une véritable similitude sensorielle avec Under the Skin comme durant cette magnifique séquence d'enterrement. Le final des deux films s’alimente : où l’humanisation rejoint la déshumanisation et où la femme en question enlève son masque pour voir une autre facette d’elle-même dans cette ribambelle de mannequin désarticulée et sans âme à l’effigie d’elle-même.
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Logan - 9/10

Messagepar Velvet » Lun 06 Mar 2017, 12:40

Logan de James Mangold (2017) - 9/10


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Malgré les égarements de la mémoire, le destin vient toujours rattraper les erreurs du passé. Avec Logan, les super héros n’en sont plus, s’affichent comme des icônes de comics qui mentent sur la réalité, sont de vulgaires fugitifs vivant dans des châteaux d’eau arides, des immigrants invisibles qui n’attendent qu’une chose : être délivrés par la mort. A la frontière mexicaine qui s’apparente à un univers post apocalyptique où l’Amérique s’empile dans les ruines et le sable, la mort qui les attend n’est pas celle qui sent le devoir accompli, non, elle pue la culpabilité, la fatigue de la recherche d’un soi-même, de la quête d’une conscience humaine disparue.

En 2029, l’époque du film, on ne parle plus de mutants. C’est une espèce qui s’éteint et il n’est plus question de sauver un monde qui ne veut pas d’eux. Le titre du film est évocateur, Logan : Wolverine n’existe plus et les X-Men non plus, il est seul, décharné par le temps et l’envie d’en finir se fait omniprésente. De cette fatigue, une déliquescence, une amertume poisseuse et dépressive envenime le dernier film de James Mangold. Qu’on se le dise, Logan n’est pas un film de super héros. Les pouvoirs feront gicler un torrent de sang sur l’écran, mais les costumes resteront au placard. La violence intérieure des personnages se montrera viscérale et sans concession : dès la première séquence, la rage surgit, la bestialité s’accroit et la fureur s’abat. Mais alors que Logan n’est devenu qu’un simple chauffeur anecdotique qui gagne de l’argent pour acheter des cachetons à un professeur Xavier mourant et sénile, il va devoir sauver une gamine aussi muette qu’animale des griffes d’une organisation gouvernementale.

A partir de ce postulat, Logan tire les ficelles de son récit presque politisé et construit un univers protéiforme, violent et qui au fil des minutes devient un melting pot de différents genres cinématographiques : road movie, drame, post apocalyptique, western ou horreur, le film de James Mangold dévoile beaucoup de cordes à son arc et écarte d’un revers de main tous les défauts récurrents des films de super héros récents comme celui de n’être qu’un « épisode de série » sans cadre personnel. Logan est autonome, est un vrai grand film, une fuite en avant décomplexée qui aménage ses effets avec harmonie pour atteindre la sève de son intrigue : le questionnement des uns et des autres et surtout leur interrogation sur leur appartenance ou non à une famille. Logan n’est pas un blockbuster comme peut l’être la série des Fast and Furious qui crie avec la subtilité d’un éléphant leur attachement pour la famille mais délivre un vrai message sur l’éducation ou la transmission.

Dans Logan, cette dernière, est une victoire qui se gagne sur le chemin de la rédemption, c’est un bonheur indicible qui semble inatteignable. Et malgré la culpabilité, le sang qui coule sur les mains de tous les protagonistes, elle est ouverte à tous : il suffit juste de le comprendre. Et là où Logan prend les allures d’un road movie mortifère, cette thématique se sublime par un chemin de croix sacrificiel émouvant. James Mangold emporte le magot autant sur le fond que sur la forme entre assemblant son film entre scènes d’actions carnassières et moments d’apaisement introspectifs. Si la mise en scène parait parfois impersonnelle malgré sa belle photo, l’iconisation est palpable et surtout Logan ébouriffe par la violence de ses coups : Logan tranche dans le vif, détruit tout ce qui bouge, des têtes et des bras déchiquetés tomberont par dizaines dans un montage au cordeau. Rarement un film de super héros n’aura autant montré une violence sanguinolente aussi sèche et malaisante. Alors que dans Deadpool, le gore pouvait paraitre comme une arme à gimmick, le film de James Mangold ne tombe pas dans le piège de l’effet de style de trop, tant la cohérence va de soi entre la haine psychique des personnages et leur animalité physique.

Le plus fascinant dans tout cela, est l’osmose entre l’empathie que l’on peut avoir pour les personnages et le lien qui les unit, notamment entre Logan et Laura, avec la sauvagerie visuelle du film. Malgré sa férocité, son envie prégnante d’absoudre Logan en tant qu’icone mémorielle et d’enlever les chaines de ses personnages notamment à travers une jeunesse mutante, Logan est un film profondément pessimiste qui se matérialise à la fois par la mélancolie presque suicidaire d’anciens super héros et cet espoir venu d’une jeunesse torturée et esseulée. Logan est un road movie aussi lancinant que terrifiant retranchant l’individualité dans le collectif et qui voit sans complaisance, l’enfance et sa subversion comme une immersion malade dans le monde adulte comme en témoignait Hit Girl dans Kick Ass : ce mimétisme animal et l’instinct de protection par la violence dans un monde où l’humanité n’est pas celle que l’on croit.
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Re: [Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Messagepar Kakemono » Mar 07 Mar 2017, 00:34

Superbe critique qui me donne envie de le revoir. Il trotte toujours dans ma tête depuis ma vision jeudi dernier, signe des grands films. :super:
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American Honey - 8,5/10

Messagepar Velvet » Dim 19 Mar 2017, 08:59

American Honey de Andrea Arnold (2017) - 8,5/10


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Sur le bitume de routes étasuniennes qui résonnent dans un vide étourdissant, l’endroit le plus hype du pays n’est pas celui que l’on croit. Au contour d’une Amérique aux visages troubles, il y a un bus qui fourmille de pulsations juvéniles. Une sorte de limousine pour les pauvres, un amas de rêves refoulés qui fait cracher les basses à coup de Hip Hop fédérateur et de refrains à la gloire d’un argent qui se trouve aux quatre coins des Etats Unis. Andrea Arnold agence avec American Honey l’odyssée d’une bande de jeunes dépourvus de famille qui déambulent de ville en ville pour vendre des magazines en faisant du porte à porte dans le seul but de se faire de l’argent : où tout du moins de subsister et de survivre à un pays où l’American Way of Life se fait rêche et déliquescent.

Et dans un métrage qui joue la carte du naturalisme, qui s’amuse des codes du genre, qui prend les formes du cinéma du vrai proche du versant documentariste, les influences viennent d’elles-mêmes : notamment Larry Clark avec sa jeunesse désœuvrée, droguée, alcoolisée et sa sexualisation omniprésente, et Harmony Korine et cette description d’un pays puritain aliénant et qui s’isole de plus en plus dans ses contrées fermées. Mais alors que le film aurait pu devenir un énième métrage sur cette jeunesse en déconstruction aux scènes rébarbatives et voyeuristes où le misérabilisme fait souvent sa loi, Andrea Arnold inscrit avec véhémence son regard de cinéaste. D’un point de vue cinématographique, American Honey est un film qui reprend les traits des précédentes œuvres de la réalisatrice, un assemblage entre Fish Tank et Les Hauts du Hurlevent : du premier, elle rejoint cette empathie vacillante pour une jeunesse qui mérite d’être écoutée sans jamais tomber dans la facilité du récit victimaire, avec cette proximité des corps et ses scènes de sexe suintantes et captivantes. Du deuxième, elle réutilise le cadre du 4 :3 et cette mise en scène au cordeau, caméra à l’épaule où les effluves corporels se confondent avec son univers sensoriel voire contemplatif.

Au-delà d’une réalisation qui confine son cadre, qui resserre ses personnages dans un cadre restreint malgré l’immensité du monde dans lequel ils surgissent, c’est l’empathie d’Andrea Arnold qui fait toute la puissance narrative d’American Honey. Car même si elle n’oublie jamais de représenter les craintes et de matérialiser les failles d’un système ou les frayeurs d’un territoire habité par des êtres aux velléités précaires et déviantes, la réalisatrice arrive toutefois à inculper une sorte de joie communicative, une folie adolescente qui réchauffe le cœur. Derrière la dureté du quotidien, cette vie qui fait la balançoire entre motel miteux et bus confiné, derrière ses mœurs de groupe parfois terrifiantes (« la soirée des losers »), American Honey enchante avec ses moments de rien du tout, cette communion adolescente qui sursaute. D’ailleurs, le récit divague de façon binaire entre les deux endroits, et voir toute cette troupe qui rêvasse et qui se détache d’une certaine réalité dans ce car pour touriste est la sublime idée de mise en scène du film : la musique se fait imposante et les visages s’entrouvrent face aux réverbères des fenêtres qui les séparent du monde réel.

Processus qui se rapproche du clip mais qui chez Andrea Arnold prend une tout autre importance. Dans la tonalité Hip Hop R,n,B moderne qu’insuffle le film et qui s’acclame comme un cri de guerre (« Nope Yup ») , American Honey se rapproche d’un Spring Breakers avec ces jeunes qui chantent à tue-tête sur des parkings en hommage à la maille. American Honey est un décryptage du capitalisme où l’argent est roi : tu fais gagner, tu restes sinon c’est la porte dans un univers féroce et animal (motif récurrent). Et dans le sillage du portrait de l’Amérique trumpiste qui se délite de son christianisme hypocrite et dégaine presque 1000 dollars pour une branlette nocturne, Andrea Arnold se concentre sur l’étoile de son film, la vibration volcanique qui fait imploser American Honey : Sasha Lane qui incarne Star, une adolescente qui a perdu sa mère et qui doit s’occuper d’enfants qui ne sont pas les siens pendant que la mère de ces derniers danse de la country sans aucun remord. De là, elle rencontre Jake (incroyable Shia Laboeuf), et les deux sont le Ying et le Yang.

Lui est le petit préféré de la patronne et joue les vendeurs d’opérettes. Mais derrière sa gouaille intempestive se cache une émotion infinie. Elle, est la nouvelle. Deux échos qui se rencontrent, s’affrontent, se défendent, se mentent, baisent et rêvent d’un petit coin de paradis utopique. Sauf qu’au lieu d’ajouter à son récit un mélodrame lourdaud, American Honey façonne un duo en manque de repère qui crée de lui-même une trame, une tension aussi romantique que malaisante à un film qui trace sa route sans se soucier des conséquences, hanté par ses rêves. C’est beau et simple. Andrea Arnold ne ratisse jamais large et ne cesse de surprendre, d’accentuer ce rapprochement entre le spectateur et cette bande, pour au final, ne faire qu’un, autour d’un feu dont le lac environnant est signe de renaissance.
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Loving - 7,5/10

Messagepar Velvet » Dim 19 Mar 2017, 09:04

Loving de Jeff Nichols (2017) - 7,5/10


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Dans une période où les films sur la ségrégation et la discrimination entre noirs et blancs pleuvent dans le cinéma hollywoodien actuel, Jeff Nichols tente à son tour de s’aventurer dans le combat déculpabilisant que mène le cinéma américain. Et dans ce dessein, Jeff Nichols essaye d’y apporter son style : il s’avère que Loving est l’antithèse d’un Birth of a Nation (par exemple) : l’époque dans laquelle se situe les récits est différente, certes, mais d’un point de vue cinématographique, Jeff Nichols étudie son sujet non avec opportunisme mais avec délicatesse et une très grande humilité. Assurément, Loving n’échappe pas à certains gimmicks de ce genre de pellicules à l’image de la musique et son utilisation trop appuyée dans les moments dits « d’émotion ». Sauf que le discours de ce dernier dévie de son aspect militant pour, au final, se préoccuper plus de l’intime que du contexte dans lequel il se trouve. Prenant les traits d’une histoire vraie, Loving décide de se concentrer sur un couple mixte dans les années 50 qui se marie dans l’Etat de Columbia, alors qu’ils habitent dans l’Etat de Virginie où cela est interdit. S’ensuit alors un combat de plusieurs années pour enfin obtenir gain de cause devant les tribunaux.

Dans ce portrait d’un couple qui n’a qu’une seule ambition : être considéré comme les autres, ce qui intéresse Nichols, n’est pas tant le cheminement juridique ou social qui va permettre au couple de gagner devant le juge mais c’est surtout la romance et les conséquences sur ce couple et comment celui-ci va surmonter les épreuves du temps et la lassitude du combat. Dans ce cas, les dernières séquences résument à elles seules Loving : la séquence du procès et celle de la conférence d’après victoire devant le juge. Au lieu de montrer les verbiages juridiques, Nichols nous dévoile le repas de famille où l’on voit ses membres les uns avec les autres, dans le confort et la sécurité de l’enclos familial, en attendant le verdict. Tout comme lors de la conférence de victoire, au lieu de placarder un discours dénonciateur et rageur, Nichols affiche un couple en larmes, bras dessus bras dessous et les yeux dans les yeux devant un parterre de journalistes.

Le destin de Loving se loge ici : dans le regard d’un couple, deux amoureux, humbles tant socialement qu’humainement qui main dans la main vont à la fois se battre et se résigner à vivre comme ils l’entendent. L’humilité du propos des personnages qui ne peuvent se passer l’un de l’autre se dessine également dans la mise en scène de Jeff Nichols, tout en pudeur qui s’écarte du dolorisme d’un Steeve McQueen pour s’approprier son naturalisme habituel qui épouse à merveille les facettes de son couple qui s’écharpe entre calme olympien et turpitudes paranoïaques à la Clint Eastwood. Mais de cette empathie grandissante, qui s’incorpore dans de nombreuses scènes, comme cette très belle demande en mariage, nait aussi un sentiment tout autre dans lequel s’enlise parfois le film : celui d’un académisme un peu feutré. Car Jeff Nichols semble brasser beaucoup de thématiques avec Loving mais a du mal à aiguiser toutes les cordes de son arc, que cela soit sur le racisme ou cet ellipse narrative de plusieurs années qui amenuise la difficulté subie par le couple durant ses quelques années de galère et qui diminue le regard que l’on a sur leur volonté de continuer à crier leurs droits. Surtout que l’on connait la finalité du métrage.

Alors on se pose une question : qu’est-ce que Jeff Nichols a à nous proposer de plus que les autres ? Et bien un film de Jeff Nichols : l’économie des mots est présente, faille du rêve cauchemardesque, la mise en valeur de l’enclos familial et de la culpabilité paternelle enfouie dans un mutisme chevrotant, l’amour maternelle et féminin qui malgré les troubles ne déchante jamais, cette nature qui est égale et possible pour tous, cette Amérique de petites contrées qui s’amusent de courses de voitures ou de regroupement entre amis autour de musique et d’une bonne bière. Et donc derrière un sujet casse gueule comme celui-ci, à défaut de révolutionner ou d’apporter un point de vue oblique, Jeff Nichols agrippe son matériel de base pour apporter son réel regard d’auteur. Et même si l’on se trouve loin de la qualité d’un Take Shelter ou d’un Mud, Loving ne dépareille pas dans la filmographie de son cinéaste, qui nous offre avec ce dernier, un joli moment de douceur, notamment à travers les yeux de la très juste et très belle Ruth Negga, véritable étoile du film.
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Grave - 3/10

Messagepar Velvet » Mar 21 Mar 2017, 15:50

Grave de Julia Ducournau (2017) - 3/10


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Les premières vibrations, cette sensation de tentation qui émane du corps dont l’esprit n’arrive plus à garder le contrôle de ses pensées. La consommation de la chair et son lien étroit avec le sexe, l’humanité face à sa propre animalité : ces femmes libres de dévorer la vie à pleine dent. Le sujet est intéressant en soi, même si la mise en forme l’est un peu moins, et même si les thèmes peuvent paraitre un peu éculés, notamment dû à une surenchère de symboliques où la subtilité s’avérera absente. Le paysage français manque de films de genre, c’est indéniable, sauf que Grave à force de vouloir manger à tous les râteliers semble enclin à trouver une réelle ligne d’horizon. Grave ne manque pas de personnalité avec ce gore à la fois loufoque et tranchant, ces personnages à la limite du ridicule et de l’angoissant, et cet environnement estudiantin « animalier » avec son bizutage au versant teenage movie dans un campus zombiesque. Pourtant, malgré ce melting pot de genre cinématographique où la comédie noire (quoiqu’un peu niaiseuse) s’amourache du film de cannibalisme, et malgré sa modernité évidente, le film de Julia Ducournau sent un peu le renfermé comme s'il était un ersatz de La crème de la crème de Kim Chapiron version horrifique à la Cronenberg où le consumérisme du corps prend son envol mais sans déclencher un plaisir sanguinolent.

C’est la simple histoire d’une étudiante, vierge et végétarienne qui va se métamorphoser et perdre son innocence dans l’arène d’un école vétérinaire. Dans le déploiement de ce mélange des genres et ses ruptures de tons parfois incessantes à coup de punchlines mal fagotées (« avec deux doigts c’est mieux »), ou de morceaux évocateurs à grands coups de refrains d’Ostie, Grave ne trouve pas le juste milieu pour fasciner et garder le spectateur en éveil, où l’humour semblera souvent là pour désamorcer une situation sombre et amuser la galerie, au lieu d’immiscer une vraie drôlerie sur son sujet. Pourtant l’envie est là, Grave a du piquant voire même du sang qui coule dans ses artères pour faire un battre un cœur juvénile comme en témoigne l’une des dernières scènes entre les deux sœurs où l’une nettoie l’autre après un crime irrémédiable. Ce sont parfois dans ces séquences muettes et purement sensorielles que Grave acquière de la poésie et dévoile ses qualités.

Cependant, il y a une certaine condescendance, qui émerge du film, comme si Julia Ducournau était trop sûre de son premier coup d’essai, donnant alors à ses quelques scènes sérieuses une aura proche de la parodie ou une complexité lexicale que l’œuvre n’a pas, notamment à cause d’interprétations bancales voire surjouées et à des dialogues parfois proches de l’ignominie. Et ce sont dans ses moments-là qu’on se rend compte alors que seule l’image chez Julia Ducournau fonctionne. Sauf que sans vouloir en attendre beaucoup, on reste très loin du niveau de l’ambiance opératique et cannibale de The Neon Demon ou de la poésie mortifère de Trouble Every Day de Claire Denis. Certes, l’univers du cinéma français manque de scènes fortes comme celles que l’on peut voir avec parcimonie dans Grave comme durant ce rapport sexuel effronté entre les personnages principaux : scène proche de la transe. Malgré tout, le langage du corps est une chose que Julia Ducournau ne maitrise pas encore, ou alors elle pense le maîtriser. Viscérales, sanglantes, certaines scènes marquent la rétine, mais il n’y a aucune liaison graphique à ses images là, aucun cheminement thématique stylistique à cette dévotion au sanguinolent : le passage de la fille végétarienne à la fille carnassière s’opère bien trop rapidement sans qu’il y ait un récit initiatique qui puisse s’agencer.

La fin nous expliquera que c’est une affaire de famille, renforçant le thème féministe de la chose. D’ailleurs dans cette séquence, on se rend compte qu’il n’est pas étonnant, voir presque normal de voir jouer Laurent Lucas dans un film tel que Grave : acteur funambule et passionnant de films comme Calvaire, Tiresia, Alleluia et surtout Dans ma peau. Ce dernier retient l’attention parce qu’il parle d’une femme à fleur de peau où l’autodestruction deviendra l’allégorie de la mutilation de l’esprit. Marina de Van à l’époque avait su éviscérer son sujet à la perfection : notamment à travers le thème de l’obsession, de cette araignée qui tisse sa toile dans un cerveau malade où le fond du film s’alimentera avec la forme visuelle et insoutenable de l’image. Ce que Julia Ducournau est incapable de faire dans un film qui explore sa simple morbidité à grands coups de gimmicks trashs ou simplement provocateurs. Dommage car Grave est un film de son époque, éructant avec verve et parfois panache, avec ses promesses et ses lacunes mais dont le trop grand nombre de portes ouvertes cannibalise le film de lui-même.
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Re: [Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Messagepar caducia » Mar 21 Mar 2017, 17:22

C'est 3 ou 4 ta note? :eheh:
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Alien : Covenant - 8/10

Messagepar Velvet » Lun 15 Mai 2017, 11:00

Alien Covenant de Ridley Scott (2017) - 8/10


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Le cinéma est parfois une affaire d’égo. Celui d’un acteur ou d’un réalisateur. D’un cinéaste qui détruit son héritage, qui saccage une entité cinématographique mythique. Et c’est ce qui se déroule avec Alien Covenant, qui va sans doute devenir le vilain petit canard de la saga Alien, le mal aimé, film malade qui démystifie l’aura de ce qui fut créé précédemment. Qui crache sur le symbole. C’est en ce sens-là qu’on se dit qu’une saga ne tient qu’à un fil. Alien le huitième passager avait des caractéristiques nobles : renversement de l’atmosphère horrifique, représentation de la peur, mise en scène de l’invisible et élégance du monstre dont l’aura n’est plus à présenter. Sauf qu’Alien Covenant est tout l’inverse : horreur sanguinolente, gore creepy, bestiole vociférante et désarticulée, monstre numérique, montage parfois épileptique.

Un cinéma dotée d’une modernité dégénérative. Mais c’est ce qu’il y a de plus beau (ou laid selon les avis) voire même de passionnant chez ce Covenant : voir un réalisateur qui renverse le rapport de force de sa propre création, un cinéaste qui n’a plus foi en l’humain et qui le fait savoir, qui essaye de faire le pont entre certains films avec plus ou moins de cohérence. La puissance de Covenant, c’est son atmosphère, parfois ridicule, mais intransigeante et noire, qui suinte la mort du cinéma de Scott ou celle de ses personnages, il y a un sentiment de désolation, de vomissure, d’un nihilisme goguenard et ricaneur, un regard robotique et malin sur des humains qui se prennent pour ce qu’ils ne sont pas : les mêmes qui expliquent qui peut créer et qui ne le peut pas. Il y a dans ce Covenant un ressentiment : une sorte de vengeance personnelle de Ridley Scott. Il existe ce genre de films : ceux qui sont personnels mais qui manquent parfois cruellement de subtilité mais qui sont tellement incarnés qu’ils en deviennent attachants et investis d’une richesse analytique foisonnante. Un peu comme The Neon Demon de Nicolas Winding Refn : où le réalisateur était son personnage principal et l’inverse était vrai. Alien Covenant prend ce parti pris là : Scott est David et David est Scott : un créateur, une âme en peine qui par égo ou opportuniste se prend pour le roi du royaume.

Quand David fait le tour de son musée des monstres, on croirait voir le cinéaste parler lui-même de sa saga. Ridley Scott reconstruit son mythe et le brûle dans le même temps, amplifie ses multiples symboliques mortifères. Le pire, c’est le destin du monstre : alors qu’il était au-dessus de tout dans la saga alien, il ne devient qu’une arme, qu’une création meurtrière qui éviscère tout ce qui bouge autour de lui et qui écoute son maitre bêtement : presque un animal de compagnie difficile à commander. Blasphème pour tout fan qui se respecte. Mais la prise de risque est noble. Peut-être idiote mais maline voire drôle : comme dit précédemment, le rapport de force évolue. La menace, la véritable, c’est l’humain et ses propres créations : iconiser à la fois par David et puis par les xénomorphes : le docteur Frankenstein et son monstre. Le passager intrus n’est pas la bête mais c’est David : sorte de demi dieu qui déteste l’humanité, qui voit en eux une imperfection qui n’est pas digne d’être respectée. C’est la révolte de l’intelligence artificielle qui dépasse sa propre mission contre ceux qui l’ont méprisé.

Ce qui donne à Covenant des scènes magnifiques : comme l’arrivée du vaisseau chez les ingénieurs et la dévastation induite, tout comme cela peut donner des séquences nanardesques : comme celle où David fait lever les bras au ciel de son monstre. Seriously ? Alien Covenant fonctionne pas à pas, avec son rythme en dent de scie mais agence ses respirations par ses digressions créationnistes, un peu imposantes et balourdes, mais épineuses quand on les met en rapport avec son réalisateur. Cette première séquence entre David et Weyland : l’art n’intéresse plus Scott, juste la question de l’origine importe. D’emblée, la frustration de David devient nauséeuse, indigeste mais les tableaux s’avèrent toujours aussi esthétiques. C’est ce qui le rend supérieur à Prometheus : film de science-fiction, beau, mais terriblement monolithique dans son enchevêtrement. Dans Covenant, le film s’amuse, se fait féroce dans sa violence, se dote d’une personnalité et harangue les foules avec ses pulsations horrifiques comme en témoigne cette première séquence de contamination qui se termine avec l’arrivée de David : mise en tension maline, montage intense, mise en scène mobile, violence esthétique prenante, environnement claustrophobe.

Durant ces moments-là, Ridley Scott a tout juste. Et son film prend de l’ampleur : son visuel enchante, l’univers pétrifie comme avec cette « vallée des morts » qui se trouve avant l’antre de David à l’instar d’un Apocalypse Now, joue le jeu des chaises musicales entre le slasher sanguinolent, régressif et film ésotérique qui prend la cathartique du néant de certains de ses personnages. Mais Alien Covenant contient surtout le meilleur acteur de sa génération : Michael Fassbender. Un charisme indéniable, devenant presque le second de Ridley Scott, un regard, un physique, un visage, un sourire dissimulant une folie qui gangrène un métrage aussi ridicule que passionnant, pour un plaisir qui n’est même pas coupable.
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Re: [Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Messagepar Jed_Trigado » Lun 15 Mai 2017, 11:04

D'accord a 100%, comme Prometheus, il y a une bancalité évidente dans ses intentions mais Scott va tellement loin dans son trip misanthrope que ça en devient fascinant. :super:
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Re: [Velvet] Blabla et laïus cinématographiques 2017

Messagepar Alegas » Lun 15 Mai 2017, 11:08

Comment vous me donnez bien envie là. :bluespit:
Je me revoie Prometheus cette semaine puis j'y vais.
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