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Adieu au langage - 2/10

MessagePosté: Sam 30 Mai 2015, 06:36
par Nulladies
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Les arcanes du film d’auteur.

En Suisse, au bord d’un lac. Le chien qui furette à droite à gauche, le vieux et sa canne, une après-midi comme tant d’autres, la petite balade digestive.

« L’avantage, quand on est un génie comme moi, c’est que tout fait sens. Je suis parvenu à un tel degré de talent, mon univers est si profondément singulier que je n’ai plus aucune barrière.
J’ai ma DV, je la laisse allumée. Roxy renifle une merde, tiens, je vais mettre un début de Beethoven là-dessus.
C’est bien, le caca, d’ailleurs. Il faudra lui donner sa juste place. Avec le son. C’est aussi ça, un génie, il ose. C’est quand même assez audacieux, les ploufs du caca qui tombe dans les toilettes lors d’une discussion dans un couple. Encore une scène qui restera dans les annales.
Et un bateau.
Et des femmes à poil.
Et Hitler, aussi. Pour les images d’archive.
Et du sang dans une baignoire.
Et puis comme je suis un esthète, je vais un peu changer la molette, là, sur la saturation des couleurs. Ah oui, l’herbe est plus verte, tiens.
Et puis comme je suis un érudit, je vais mettre des citations. Mais comme je suis un véritable érudit, je ne vais pas dire de qui sait. Les intellos vont adorer reconnaitre, petit esprit de communauté : Antigone d’Anouilh dans les champs, François Villon sous la douche, Monnet, tout ça. Et je filme aussi des films en noir et blanc sur mon téléviseur.
Et puis l’écriture à l’écran, ça, c’est attendu. C’est ma patte. Adieu au langage, La Nature, La métaphore, des chapitres dans le désordre. Les Cahiers parleront de montage parcellaire, les Inrocks de mashup. Les Cahiers parleront de l’intertextualité, les Inrocks de la 3D et du numérique.

Roxy, reviens par là, on va faire un film. On ira pas à Cannes, parce qu’on est pas comme ça. Cannes viendra à nous. Tu verras qu’ils vont te trouver un prix. »

Le chien s’en contre branle.
Le vent souffle sur l’herbe verte. De petites vaguelettes irisent le lac.
C’est très beau.
« Elégiaque », dira la presse.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Sam 30 Mai 2015, 11:08
par Alegas
Ce film. :eheh:

Château dans le ciel (Le) - 8,5/10

MessagePosté: Dim 31 Mai 2015, 07:30
par Nulladies
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Itinéraire de délestage.

Le troisième long métrage de Miyazaki, découvert sur le tard en France grâce au succès de ses chefs d’œuvres à l’aube des années 2000, a dû surprendre les nouveaux amateurs. A priori bien plus occidental, il est résolument marqué par les influences de la littérature d’aventure.
Dès le générique, dans une imagerie sépia de gravures, c’est Swift et Verne qui sont convoqués, tandis que l’île volante renvoie explicitement à la Tour de Babel de Brueghel.
Ambitieux, le récit s’articule autour d’une séquence d’origine jouant habilement du mystère : muette et sibylline quant au rôle de chacun, elle est entièrement inféodée à la démonstration de virtuosité qui fera toute la dynamique du film : le mouvement. Montage alterné entre plusieurs groupes de personnes, fuite et coups de feu, portes qui explosent : le programme est lancé.

Le décor terrestre, européen en diable, semble être calqué sur Quelle était verte ma vallée de Ford, et joue de la complémentarité chère au maitre japonais : le parcours initiatique de Pazu se fera des entrailles minérales de la terre à l’apesanteur utopique de Laputa, par l’entremise d’un cristal, objet magique, féminin et unique qui permet le voyage.

L’ascension se fait donc sous l’égide de la grande aventure, et mêle avec habileté des influences diverses sans se départir d’une tonalité propre : la piraterie de L’île au trésor de Stevenson, les robots géants du Roi et l’oiseau, les courses poursuites et la réversibilité des méchants, prochaine famille d’adoption des protagonistes déracinés.

C’est peut-être là l’unique reproche à faire au film : rivé à cette intrigue d’une trajectoire unique vers les hautes sphères, il peine à échapper à certains clichés, notamment dans le rôle de l’opposant se limitant à un rire machiavélique accompagnant son ambition de conquérir le monde.

Pesanteur cependant rapidement balayée par l’essence même du film, cette grâce absolue qu’on retrouvera notamment dans Porco Rosso et parmi les plus belles séquences du Voyage de Chihiro : l’envol. Au-delà de l’inventivité aéronautique chère au dessinateur, Le Château dans le Ciel est l’occasion d’un ballet grandiose, de splendides prises de vues aériennes s’affranchissant des contraintes cardinales. Qu’on pense au double niveau entre le vaisseau mère et la nacelle ou au décollage final de l’île, tout concourt au délestage. Vers l’évanescence et la légèreté, à rebours des lourdes ambitions industrielles de l’homme, reste l’essentiel : un arbre géant s’élevant vers le ciel, et l’amour naissant de deux êtres ayant découvert le poids infime des valeurs profondes.

Trois souvenirs de ma jeunesse - 8/10

MessagePosté: Dim 07 Juin 2015, 07:20
par Nulladies
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Dédale & écarts.

Pour le spectateur fidèle à Arnaud Desplechin et après l’expérience américaine de Jimmy P., Trois souvenirs a tout du retour nostalgique sur les terrains familiers de sa filmographie. Le Roubaix de la Vie des Morts et d’Un conte de Noël, la famille, et les atermoiements du personnage de Comment je me suis disputé… sont les composantes de ce nouvel opus qui affiche avec fraicheur son désir d’en découdre avec les circonvolutions de la jeunesse.
On retrouve avec bonheur la tonalité propre au cinéaste, notamment par l’entremise d’un Amalric décliné en trois âges : un enfant qui lui ressemble à s’y méprendre, et Quentin Dolmaire, sa version adolescente qui assume la lourde tâche de composer un personnage qui porterait en germe tout ce que deviendra le jeu si singulier de l’acteur fétiche de Depleschin. Diction, recul à la fois étonné et enthousiaste sur les contradictions inhérentes à l’humanité, tout fonctionne chez ce jeune homme. Avec lui se déploie la tonalité propre au film, et qui fait la quintessence de l’œuvre du cinéaste : littéraire, très français, d’une grande lucidité, jouant des contrastes entre les passions à l’œuvre et le commentaire avisé qu’on en fait.
Car c’est bien là le cœur du projet : la navigation dans le temps et les divers regards qu’elle occasionne sur ce qui a fait de nous des êtres sensibles. De la mort elliptique d’une mère aliénée à la passion amoureuse adolescente, de la vie étudiante parisienne à la découverte de l’anthropologie, Desplechin nous invite dans le dédale émotionnel du parcours de Dédalus. Par le biais d’un récit d’espionnage, l’identité fragmentaire du protagoniste se trouve même dédoublée, permettant à un nouvel alter ego de s’épanouir loin du carcan soviétique, métaphore du projet narratif : reconstituer sans les joindre totalement les fragments d’une individualité en devenir, loger l’émotion dans la reconstitution d’épiphanies comme dans les béances d’ellipses violentes.
Pour accompagner cette odyssée intime, cette plongée dans les souvenirs (la phrase de Perec, « Je me souviens ouvrant à plusieurs reprises le film), Desplechin soigne particulièrement sa photographie et parvient à magnifier les bâtisses de Roubaix, la brique et le bleuté du petit matin des fêtes adolescentes, les jardins pelés de l’enfance et les rues décaties. Décomplexé dans sa mise en scène, il s’essaie au cache à l’iris, au split screen, sature de musique et de marivaudage des 80’s son récit qui confère à cette jeunesse aussi débridée que mélancolique une authenticité évidente.
Cette alternance entre voix off, retours à un présent désenchanté et fulgurances de la jeunesse épaissit progressivement une banale chronique en voyage éminemment littéraire et psychanalytique (le rapport à la mère, à la prof, à la tante, à l’amante) sans jamais tomber dans les lourdeurs que peuvent occasionner de telles ambitions.
Trois souvenirs, enfin traite avant tout d’un sujet, notamment par le déséquilibre volontaire accordé aux différents segments : celui d’une passion amoureuse. Voir Desplechin s’essayer au lyrisme est un plaisir rare. Combiner cette distance de l’analyste et ce refus du sentimentalisme à la plongée la plus frontale dans la découverte du sentiment amoureux constitue la prise de risque – et la réussite – majeure de son film.
Incarnée par Lou Roy –Collinet, la figure d’Esther synthétise à elle seule l’indicible humain que le cinéaste explore depuis les origines : contradictoire, passionné, cruel, abandonné à sa passion, solaire et au bord du gouffre.
L’Epilogue, un retour abrupt au présent des quinquagénaires après la longue immersion dans l’aube de la vingtaine, joue de cette double détente : brutalité de l’ellipse sur le sort d’Esther et la façon dont les adultes restent, en dépit des décennies, marqués à jamais par l’expérience amoureuse.
Un mot, à lui seul, répété à plusieurs reprises, circonscrit le projet d’un auteur à la recherche de l’authenticité. Il dit l’évidence de la rencontre, les regrets de la perte, il dit aussi la prise de conscience de ce que fut l’amour, la découverte du Beau et de la Vérité, et qu’ici seul l’adulte peut définir lorsque son adolescence est devenue un chapitre éloigné de sa vie. Il dit qu’une vie humaine se résume à un seul amour qui la marquera à jamais, et qui méritera qu’on lui consacre l’œuvre du souvenir : intact.

Il était une Fois la Révolution - 8,5/10

MessagePosté: Dim 07 Juin 2015, 07:22
par Nulladies
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L’écorche des héros.

Il était une fois la Révolution (dont le titre original, Duck you, sucker ! annonce davantage la couleur) commence comme une farce dans laquelle Leone prendrait tous les ingrédients les plus outranciers de son cinéma pour les servir à qui les attends : jets d’urine en plan initial, sueur, trognes patibulaires, nous sommes en terrain connu. A la morgue des bandits répond l’obscénité de leurs riches victimes, tant dans leurs propos que par les très gros plans sur leur mastication. Rien n’est à sauver, et c’est dans un viol d’une lenteur effarante que semble se conclure la vision désabusée de l’humanité qui ouvre le film.
Leone ne fait donc pas dans la dentelle et semble jouer à la lisière de la parodie, qu’il s’agisse de revisiter le code du western en substituant au cheval traditionnel une moto bringuebalante, voire la musique de Morricone qui semble singer ses élans précédents.
Le projet lui-même brille par son manque d’originalité : l’association forcée pour un braquage. A la différence près que le protagoniste ne libèrera pas les millions, mais les dissidents d’une révolution dont on va le faire leader malgré lui.
Dès lors, le film prend une direction nouvelle, prenant son temps pour mener les personnages sur la voie d’une révélation. 2h40 de détours et de retournements, après un début un peu laborieux, semblent nécessaires à cette initiation à l’humanité.
Après la médiocrité d’un projet individualiste, c’est le temps de l’euphorie invicible, point de rencontre entre le cinéaste et l’enthousiasme de ses personnages : fusillades, corps lestés de plomb, ralentis à l’envi qui semblent empruntés à la très récente Horde Sauvage de Peckinpah, (rapprochement d’autant plus efficient que le sourire carnassier et jubilatoire de James Coburn sous la mitraille ne peut que faire penser à celui qu’il aura dans Croix de Fer) pont dynamité, tout concorde au grand spectacle. La mise en scène gagne en ampleur, à l’image de ce plan séquence suivant le gamin en repérage devant la banque, et le film semble atteindre son point d’orgue, celui d’une épopée opératique à l’ambition picturale ( notamment par des références explicites à Goya ou de Chirico).
C’est sans compter sur les ressources du maitre.
Si le foisonnement se poursuit vers un final assez gigantesque, c’est sur un autre terrain que le récit veut mener ses personnages. La révolution, nous dit Mao dans le carton initial, « n’est pas un dîner mondain. La révolution est un acte de violence. ». Des tableaux, on passe à la reconstitution historique : charniers, fusillades, tueries de masses, la fête est finie. Juan perd sa famille tandis que la remontée dans les souvenirs de Sean laisse sourdre la douleur du pays natal. De L’Irlande au Mexique, l’Histoire se répète : elle broie les individus, pousse à la délation, la perte et le deuil. Les paroles s’amenuisent, les sourires s’estompent et l’héroïsme tire les traits.
C’est là que le film prend enfin toute son ampleur : du spectaculaire à l’intime, du jubilatoire au lyrisme, il prend une double direction, celle du passé nostalgique (la scène originelle dans le bar irlandais, d’une lenteur musicale poignante) et de l’issue du conflit, l’acceptation d’être mortel face à l’ennemi pour devenir un héros véritable.
La concordance finale, entre pyrotechnie grandiose et souvenir intime (les plans ultimes révélant le triangle amoureux du passé de Sean) permet un équilibre rare entre l’émotion visuelle et psychologique et marque un tournant dans le sens du récit de Leone.

Le futur prévu par le duo avait un nom : America. Il sera atteint par le réalisateur désormais près à assumer la chair de sa chair, le lyrisme qui irriguera son testament, Once upon a time in America.

Bonus track : « Leone filme des explosions au ralenti avec un parfait je-m’en-foutisme. Son humour comme les mimiques de Steiger sont d’une lourdeur désespérante. Il s’agit de son plus mauvais film. » Jean Tulard, Le Guide des films.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Dim 07 Juin 2015, 10:50
par Alegas
Les citations de Jean Tulard c'est du gros WTF la plupart du temps. Incroyable qu'on ait laissé un tel mec écrire des dictionnaires de films.

Du coup, il manque une note au film pour rentrer dans le Top.

Comme un avion - 9/10

MessagePosté: Sam 13 Juin 2015, 06:38
par Nulladies
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L’art de la fugue

Comme un avion s’annonçait comme un film sympathique. De celui où l’on retrouve avec plaisir une équipe, la fratrie Podalydès, qui sait, depuis plus de quinze ans, distiller avec finesse un regard lucide et tendre sur les remous sentimentaux, les affres du carcan familial, bien entouré de comédiens dirigés avec un tact imparable.
En se donnant le rôle principal, Bruno Podalydès semble assumer pleinement la forte individualité de son nouveau projet, celui d’une fugue en kayak qui métaphorise sans lourdeur ses désirs de singularité dans le paysage formaté de la comédie ou du film d’auteur à la française.
Dès les prémices d’un récit finalement assez convenu (les poids de la routine professionnelle ou conjugale favorisant l’émergence d’un désir de fuite), c’est l’individu qui frappe. En apesanteur, légèrement décalé, son personnage déclenche une tendresse inconditionnelle et immédiate. Sur le fil continu du ridicule et du charme, commentant à voix haute sa propre vie, Michel est un poète modeste qui a compris un élément fondamental, celui qu’il n’a pas de leçon à recevoir, et surtout pas à donner. Il s’agit de vivre en accord, un temps durant, avec les méandres d’un courant qui le portera.
C’est dans cet équilibre ténu que se tient toute la grâce du film : lyrique dans son approche d’une nature qu’on ne cherchera jamais à magnifier, poétique dans sa restitution de rêves qui renvoient davantage à l’enfance qu’à des aspirations prétentieuses, burlesque dans sa désactivation d’une odyssée immobile, le parcours est à la fois atypique et dévastateur d’authenticité. Accroc au matériel et rêveur de sa vie, Michel concentre les contradictions avec le sourire. Les rencontres qu’il fait semblent se faire à l’unisson de son état d’esprit : sans barrières, au fil du courant, et toujours sans tomber dans le piège d’une leçon hippie sur la liberté ou le carpe diem.
Car dans cette utopie éphémère où rien ne s’impose et où l’on dispose, il s’agit surtout de lâcher prise. De se laisser aller à tomber amoureux d’un kayak sur papier glacé, d’inventer une descente vers la mer qui ne cesse de revenir à un hameau rêvé ou le repos du guerrier surgit avant l’effort. De s’effondrer sur l’herbe après avoir vécu au rythme béni de ce qui semble être la vraie vie : la lente fonte de la glace sur un sucre se dissolvant dans l’absinthe.
Comme un avion n’est pas une comédie. C’est loin d’être un drame. C’est la chorégraphie humaine d’individus ayant décidé d’oublier leur pudeur, c’est le sourire bienveillant de ceux restés sur la rive et encourageant l’échappée belle, c’est une nappe enveloppant un corps qui s’offre. C’est une succession de tableaux, magnifiés par une splendide photographie où les tâches mouvantes des individus rouges tracent un sillon dans la verdure édénique.
De ce voyage immobile subsiste cet élan ténu, qui progressivement s’enrichit d’une musique en totale cohésion avec lui, notamment le splendide Venus de Bashung écrit par Manset. Aux boucles de l’idylle sur l’îlot succède ce superbe plan final d’une avancée commune, sur la rive et sur l’eau, d’un couple qui semble partager une valeur suprême et commune, celle de la liberté.
La philosophie apprend une chose que l’on peut ne pas attendre d’elle : d’accepter de ne pas pouvoir expliquer. Cesser d’analyser et ne pas voir de leçon en chaque chose. C’est l’essence même de ce film qui procure à ceux qui se laisseront porter par son flux durant lequel le temps s’abolit un sentiment qu’on croyait disparu des salles obscures, ou réservé aux joyaux d’un âge d’or révolu : le bonheur.

It follows - 7/10

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 06:17
par Nulladies
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Suivre et survivre

C’est sur un éblouissement propre à séduire le cinéphile peu connaisseur du genre que s’ouvre It Follows : une superbe leçon de mise en scène. Le plan séquence initial, tout en lenteur circulaire, distille dans sa maitrise et sa sérénité triste l’atmosphère désenchantée qui fera tout le charme du film. Lui succèdent quelques tableaux (un silhouette minuscule sur la plage, l’éclairage provenant des phares de la voiture ou le portrait atrocement mutilé d’une jeune fille) qui achèvent l’opération de séduction : nous sommes prêts à suivre.
De poursuite, il sera donc question, et force est de constater que David Robert Mitchell prend un malin plaisir à subvertir les attendus de son sujet. Pas de frénésie, peu de course, ou alors celle, déraisonnable et pathétique, de pantins face à une lenteur inéluctable.
Dans cette ville en ruine, seul un groupe lui-même dans les miasmes de l’âge ingrat, semble exister, et accomplit sans trop y croire un trajet inféodé à un concept pour le moins fumeux : une malédiction sexuellement transmissible qui impose qu’on l’explique au contaminé, car s’il meurt de celle-ci, elle remonte au donneur. On pouvait craindre le pire dans cette alliance qui sied tant au teen movie : sexe à la chaine et massacres idoines. C’est aussi là que le film se distingue avec malice : de sexe, il sera peu question, et c’est dans le malaise de la maladie qu’il se fera, la plupart des protagonistes ayant conscience des enjeux, le transformant en une forme étrange de sacrifice.
Ce thème semble d’ailleurs contaminer toute l’esthétique du film : pas de victoire, pas de jubilation, pas de revanche : les protagonistes semblent résigner à faire avec, tout comme ces pavillons a l’abandon, sur des kilomètres, attestent de la nature d’un monde qui subit. Crise financière, crise d’identité, crise sexuelle : il ne reste rien qu’un monde en ruines, et le cinéaste pour en extraire la poisseuse substance. Son regard acéré, dans une photographie laiteuse qui rappelle les films indépendants de ses prédécesseurs (Sofia Coppola notamment), compose de somptueux portraits de décors aussi variés qu’unis par la mélancolie qui les assombrit. La mise en scène, méticuleuse, joue des points de vue et d’un des artifices permettant les innovations, à savoir l’invisibilité du suiveur pour les autres personnes que sa victime. L’arrière-plan devient ainsi une menace permanente dans laquelle nous identifions des marcheurs potentiels, ne sachant s’ils seront ou non vus par les autres. De la même façon, l’affrontement final dans la piscine alterne les points de vue, jouant de l’invisibilité ou non du suiveur, permettant une dynamique tout à fait intéressante.
It follows serait donc la solution idéale pour réconcilier amateurs du genre et cinéphiles plus généralistes… Pas si sûr : aux premiers, il risque d’être considéré comme prétentieux et pisse-froid, tandis qu’il pourra faire penser aux seconds qu’un cinéaste d’un tel talent pourrait atteindre des sommets s’il se débarrassait du ridicule inhérent à son pitch et à son inévitable développement (découverte, doute, croyance, affrontement, victoire). Qu’on ajoute à cela la déception quant aux promesses d’un film « utra flippant »… Il n’empêche : un réalisateur à suivre s’affirme clairement ici, et c’est de toute façon une bonne nouvelle.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 08:59
par Dionycos
Nulladies a écrit: Qu’on ajoute à cela la déception quant aux promesses d’un film « utra flippant »…


C'est marrant, moi j'ai vraiment eu la frousse pendant ce film. Ca ne m'était pas arrivé depuis au moins 10 ans, voire 15.
Promesse tenue :super:

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 09:02
par osorojo
C'est pas vraiment flippant, mais la tension est bien gérée quand le monstrasse joue avec les nerfs de ses proies. Syndrome Alien un peu, t'as pas peur, mais t'es sur le qui-vive, avec 16 de tension ! :mrgreen:

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 09:03
par Nulladies
Dionycos a écrit:
Nulladies a écrit: Qu’on ajoute à cela la déception quant aux promesses d’un film « utra flippant »…


C'est marrant, moi j'ai vraiment eu la frousse pendant ce film. Ca ne m'était pas arrivé depuis au moins 10 ans, voire 15.
Promesse tenue :super:


C'est l'un des déceptions pour moi. En même temps, je crois que je ne rentre jamais dans l'ambiance des films de genre. J'ai toujours une grande distance, je n'y crois pas, ça ne fonctionne pas. Une résistance, en somme...

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 09:05
par osorojo
Pourquoi alors reprocher ça au film, si tu sais que de toute façon avec toi, ça ne prend jamais ?

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 09:05
par Nulladies
osorojo a écrit:C'est pas vraiment flippant, mais la tension est bien gérée quand le monstrasse joue avec les nerfs de ses proies. Syndrome Alien un peu, t'as pas peur, mais t'es sur le qui-vive, avec 16 de tension ! :mrgreen:


La tension, d'accord. Notamment dans la mise au point sur l'arrière plan et le fait que chaque marcheur puisse devenir un suiveur, ça c'est bien foutu.
Ce qui me plait le plus dans l'ambiance, c'est justement l'absence de furie, cette atonie, ce désenchantement. Je flippe davantage devant des pavillons en ruine, à savoir le réel décomposé, que des zombies incestueux. :mrgreen:

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 09:08
par Nulladies
osorojo a écrit:Pourquoi alors reprocher ça au film, si tu sais que de toute façon avec toi, ça ne prend jamais ?


Je ne sais pas, je le confirme à chaque nouvelle tentative. Je suis un puceau dans le genre, et j'essaie de m'y essayer. Plein de bonne volonté, mais ça ne marche pas trop. Massacre à la tronçonneuse, par exemple, m'a laissé de marbre et m'a le plus souvent irrité. Là, je viens de commencer Halloween de Carpenter et franchement, au tiers du film j'en ai déjà ras le bol... Pas pour moi, je crois. Mais je veux quand même avoir vu les grands classiques ou les références. Et pour revenir à It Follows, je ne regrette pas, c'est un bon film. Cf. ma conclusion sur ce que je pense du réal.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Lun 15 Juin 2015, 12:11
par Mr Jack
Regarde The Thing :mrgreen:

Ouais je vends mon pain.