[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Inglourious Basterds (2009) - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 19 Mar 2016, 11:05

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Odieux au langage.

Après s’être imposé comme un conteur d’histoire hors pairs, Quentin Tarantino voit grand : il s’agit de se frotter à l’Histoire. Toutes les modifications apportées à son écriture habituelle attestent de cette ambition - qui se révélera un rien pesante par endroits - : de l’Amérique à l’Europe, du contemporain à la Seconde Guerre mondiale, des références bis du tenancier de vidéoclub à l’érudit en matière d’histoire du 7ème art, le cinéaste ne ménage aucun de ses effets.
De la même manière que la transition de maturité fonctionnait entre Pulp Fiction et Jackie Brown, on ne peut que s’incliner face à un grand nombre de réussites. La séquence d’ouverture en est sans doute la preuve la plus éclatante. Vingt minutes d’un dialogue ciselé en trois langues différentes, et au cours duquel tous les enjeux de l’occupation se déroulent entre deux personnages autour d’une table. Des comédiens fantastiques, au premier rang desquels l’incontestable révélation du film, Christoph Waltz, une tension croissante : tout est là, jusqu’à ce plan de la libération filmé depuis l’embrasure de la porte, écho à celui qui clôt La prisonnière du désert.
L’Europe est certes le terrain de l’Histoire, dans laquelle nazis et ennemis vont s’affronter selon les règles du réalisateur : sang, violence, baroque de circonstance sont au rendez-vous, avec certains tics qu’on pourrait juger dispensables (notamment les noms des basterds s’affichant sur l’écran au son de grasses guitares électriques). Mais c’est surtout par le biais du cinéma que Tarantino va s’ouvrir grandes portes du passé. Pabst, Riefenstahl, le cinéma de propagande allemand et ce film en abyme, La Fierté de la nation, vont être l’occasion d’un jouissif exercice de style : le pastiche, certes, mais surtout l’instrument du thème majeur le plus cher au cinéaste, celui de la vengeance. C’est bien entendu une femme, comme dans Kill Bill, qui sera à l’origine ce plan savamment ourdi : exploiter le film comme une arme de destruction massive, à la fois au sens figuré (en introduisant par la magie du montage une contre propagande à l’intérieur du film de propagande) et au sens propre, la bombe à nitrate permettant de purger l’ennemi par le feu. La figure féminine traverse tout le film, en dépit d’un sujet éminemment masculin (l’escouade de barbouzes américains et les nazis qui leur font face) : c’est Shosanna, bien sûr, du rat de cave à la femme fatale qui mourra au ralenti avant de devenir éternelle dans les brumes du brasier, mais aussi Diane Kruger, figure de Cendrillon dont l’identification conduira, à l’inverse du conte, à sa perte.
Sur le plan esthétique, Tarantino limite presque ses effets, si l’on compare sa mise en scène à celle de Kill Bill : certes, on retrouve un certain goût pour le découpage achronique, mais de façon discrète, et la montée et descente du double escalier n’est rien d’autre qu’une citation du célèbre plan-séquence du restaurant. Comme pour la transition entre Kill Bill et le volume 2, c’est sur le terrain de la parole que se déplacent les enjeux. Avec quatre langues différentes, Inglorious Basterds est un festival langagier, au sommet duquel trône une nouvelle fois Christoph Waltz, orfèvre polyglotte. L’écriture s’attache à cette cohabitation forcée des nationalités, et va jusqu’à fouiller l’enjeu des accents au sein de cette comédie des faux semblants. L’autre grande scène du film, écho au prologue, est bien entendu celle de la taverne, interminable échange qui se grippe progressivement, sur le même modèle que la transaction finale dans Django Unchained. La quête de l’accent allemand, la façon dont le SS scrute les rôles de chacun en dit long sur la jubilation d’écriture de Tarantino, qui sait aussi en faire une matière comique, dans l’imparable italien pratiqué par Brad Pitt, américain jusqu’au bout des ongles. Autre élément d’écriture, le plaisir des nicknames, (the jew hunter, the little man, the jew bear…) et les dissertations de chaque personnage sur le sien, sur la légende qui l’accompagne : une tradition depuis Kill Bill et qui ancre encore une fois l’Histoire dans un versant plus pop.
Comme souvent, l’écriture suit les voies de la bifurcation : les plans ne fonctionnent pas comme prévu, et l’improvisation vient toujours épicer la grande machination. C’est sur cette dynamique que Tarantino greffe la grande insolence de sa réécriture de l’Histoire. N’oublions pas que le film commence par le carton « Once upon a time in France »… Puisque tout est possible, puisque nous sommes au cinéma et que les barbares eux-mêmes l’utilisent comme une arme (Hitler à Goebbels : « This is your finest film yet. »), pourquoi se priver ? Le cinéma changera donc le cours du monde.
Rien n’est donc laissé au hasard, et le cinéaste fait feu de tout bois. Si l’entreprise générale est clairement jouissive, l’écriture souvent éclatante, le volontarisme peut accuser certaines limites, dans la reconstitution glamour ou la bouffonnerie, tout comme dans la mise en abyme un peu pesante par moment : Tarantino affirme un peu trop fort, notamment avec la dernière réplique de Brad Pitt : « I think this just might be my masterpiece ! » pour qu’on y adhère pleinement par nous-même. Il n’en demeure pas moins que le sale gosse réussit son pari, et investit le cinéma à l’échelle internationale avec une audace qui n’appartient qu’à lui.
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Re: Midnight Special - 8/10

Messagepar Mr Jack » Sam 19 Mar 2016, 19:11

C’est bien de foi qu’il s’agit, non tant dans le don exceptionnel d’un individu (occasionnant d’ailleurs des scènes assez comiques) que dans le don face à un individu : ceux qui se trompent sur Alton le font parce qu’ils l’envisagent dans leur intérêt propre, tandis que ses parents (Shannon et Dunst, impeccables) agissent pour lui, et doivent se rendre à l’évidence : le laisser partir.


C'est un des soucis que j'ai eu avec le film. La poésie suggestive n'est pas assez tenue et le côté trop explicite de la révélation sur l'enfant ruine un peu tout ce que Nichols voulait tisser dans les rapports entre les personnages. Soit on reste dans le suggestif, l'implicite, la métaphore et l'abstrait (comme dans Take Shelter) soit on tombe dans le fantastique pur et on tisse autre chose à partir de ça. Là le soucis du script c'est qu'il tend vraiment sur cette révélation et la touche poétique, le sous-titre religieux est maladroitement placé, si bien qu'à un moment donné on ne sait pas se fixer sur le sens du rapport entre ce qui nous est montré et ce qui se dégage du film (le rapport à l'image). Il y a beaucoup de bonne volonté et pas mal de choses réussies mais pas assez abouties une fois qu'on ferme la boucle.

Nulladies a écrit: le personnage d’Adam Driver est au diapason : représentant d’une force éculée dans les thrillers, la NSA, il fait preuve de cette même quête de vérité qui l’humanise


Là par contre j'ai trouvé ce personnage totalement raté. Je comprends pourquoi il est là mais ses enjeux sont totalement flous et c'est de lui que viennent beaucoup d'incohérences une fois le trois quart du film atteint. Là encore c'est dommage (et puis l'acteur est tellement mauvais...) :chut:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Sam 19 Mar 2016, 21:05

Mr Jack a écrit:C'est un des soucis que j'ai eu avec le film. La poésie suggestive n'est pas assez tenue et le côté trop explicite de la révélation sur l'enfant ruine un peu tout ce que Nichols voulait tisser dans les rapports entre les personnages. Soit on reste dans le suggestif, l'implicite, la métaphore et l'abstrait (comme dans Take Shelter) soit on tombe dans le fantastique pur et on tisse autre chose à partir de ça. Là le soucis du script c'est qu'il tend vraiment sur cette révélation et la touche poétique, le sous-titre religieux est maladroitement placé, si bien qu'à un moment donné on ne sait pas se fixer sur le sens du rapport entre ce qui nous est montré et ce qui se dégage du film (le rapport à l'image). Il y a beaucoup de bonne volonté et pas mal de choses réussies mais pas assez abouties une fois qu'on ferme la boucle.


C'est vrai que c'est un peu problématique. Il navigue sur plusieurs registres et mobilise de la bonne volonté pour qu'on ne décroche pas à certains moments. Dès qu'Alton a été exposé au soleil et raconte aux adultes, j'ai trouvé ça trop explicite, et la cité finale, n'en parlons pas. Mais comme je le disais, ça n'a pas suffi à faire s'écrouler tout l'édifice.
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Django Unchained - 8/10

Messagepar Nulladies » Dim 20 Mar 2016, 06:49

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L’idylle des esclaves.

Fort de ses ambitions reconnues sur Inglorious Basterds, Tarantino revient au pays par la même porte, celle de l’Histoire nationale, la combinant avec le genre séminal du film hollywoodien, le western. Tarantino aime jouer avec les périodes de transition : Django se situe quelques années avant la guerre civile, tandis que Les 8 Salopards en constituera l’épilogue. Il s’agit ici de faire frémir un vent nouveau par l’entremise d’un personnage qui va, par son attitude émancipatoire, scandaliser tous les blancs qu’il croise, et du seul fait de sa présence instaurer une dynamique dramatique.
La grande différence avec Inglorious Basterds se situe dans la population traitée, et la plongée dans les bas-fonds d’une Amérique née sur ce que l’humain peut avoir de plus barbare. En clin d’œil au formidable prologue de son film européen, Tarantino oppose désormais King Schultz à un bouseux lui ordonnant de « parler normalement », incapable de comprendre sa préciosité germanique.
Le couple qu’il forme avec Django, qu’il baptisera lui-même Freeman, est l’un des plus attachants chez Tarantino, plutôt habitué aux figures solitaires. Il rappelle celui de l’héroïne et de Max Cherry dans Jackie Brown, ou de Mélanie Laurent et son projectionniste noir dans Inglorious Basterds : des couples mixtes noir et blanc, toujours, mais relayés au second plan, alors qu’ils sont ici les figures centrales.
C’est aussi l’occasion pour Tarantino de se confronter au paysage : du désert aride aux plaines enneigées, des torrents aux champs de coton (esthétiquement éclaboussés de sang), le cinéaste ouvre les yeux sur un monde jusqu’alors ignoré, marchant sur les pas des panoramas sublimes de Ford dans La Prisonnière du Désert.
Django apprend : s’il est, comme toujours, un combattant hors pair, le récit insiste sur les rites de son intégration : nouveau vocabulaire, costumes, entrainement au tir, il fait figure du disciple à la bonne école, celle du maitre dont l’intelligence surclasse toute la population américaine. Le personnage de Schultz, brillant chasseur de prime, ne cesse de renvoyer ceux qu’ils croisent à leur ignorance de leurs propres lois, prenant un malin plaisir à mettre en branle des situations classiques du western (comme l’assassinat du sheriff en pleine rue) avant de les tourner à son avantage. Il représente avant tout le versant malin de la loi, voulant toujours tout régler de façon légale (les fameuses legal boundaries), notamment la grande quête du film, la femme de Django. C’est le premier double du cinéaste, qui a toujours sur jouer avec le contexte pour en faire sa matière cinématographie : Schultz tue pour de l’argent, mais le fait dans un cadre strict, et sans aucune forme de remords.
Mais c’est là que le film suit une progression inattendue, et qui annonce bien des caractères des huit salopards à venir : Django va s’émanciper au point de dépasser le maitre. C’est d’abord ses yeux, puisqu’il va être nécessaire à Schultz pour reconnaitre ses prochaines proies, et va s’avérer un tireur d’élite, ridiculisant au passage les blancs qui ne peuvent pas voir sous leur cagoule, une des scènes de comédie satirique. C’est celui, aussi, qui focalise tous les regards (un noir sur un cheval ne passe pas inaperçu) et dont la présence va devenir de plus en plus provocante. Dans le long travail de mise en scène du duo, Django applique à la lettre le précepte de son mentor, “you can never break character”, et c’est sur ce terrain qu’il le surpassera. Dans son rôle d’esclavagiste, Django effraie Schultz qui découvre et révèle par là même le regard de Tarantino sur ses ancêtres. Feignant l’impassibilité devant la dévoration d’un congénère par des chiens, l’ancien esclave explique au bourreau : “I'm just a little more used to Americans than he is.”… Adaptation par la compromission, dont l’étonnant personnage de gouverneur raciste campé par Samuel L. Jackson est une autre déclinaison.
Car la plongée dans l’univers retors du blanc riche, en quête de divertissement par les combats de mandingues, va faire basculer la thématique du récit. Il ne s’agit plus de comédie. Autour du personnage de Di Caprio, en forme olympique, Tarantino creuse le sillon d’une violence perverse et réactive son recours à la grande scène de dialogue autour du film, durant toute cette fameuse négociation. Tension, mensonges, explosion différée : tout est là, et de façon assez majestueuse, de l’écriture ciselée aux interprétations irréprochables.
D’où l’étonnement, voire la circonspection qui lui succède. Le mélange des genres a toujours été un moteur chez Tarantino, et il n’est pas surprenant de le voir passer, par le biais du western, du débat idéologique à la fusillade baroque, dans une séquence qui joue avec ostentation le revival Kill Bill. La farce sanglante, voire grossière (la bande son hip-hop, les plans entre les jambes avant une possible émasculation…) prend le dessus, et on peut y voir l’audace du précédent opus, qui réécrivait l’Histoire dans un incendie cathartique. Ici, clairement, Django fait exploser le metteur en scène et avec lui le cadre jusqu’alors établi, à partir de la mort sacrificielle de son mentor. Si l’on peut justifier cette rupture, elle n’en est pas moins assez déconcertante, et vient surtout contrebalancer la violence précédente, poignante comme rarement chez Tarantino, car faite à des victimes innocentes, et non par des criminels entre eux. La façon qu’il a de repeindre tous les murs en rouge est certes jouissive, mais elle fragilise le discours et le pathétique qu’il avait réussi à instiller, bifurcation un peu regrettable au vu de l’intelligence d’écriture des 4/5ème du film.
Une façon, sans doute, de rappeler au spectateur qui est aux commandes, ce qui n’était pas nécessaire.
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Brooklyn - 4/10

Messagepar Nulladies » Lun 21 Mar 2016, 11:36

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Messed bride story

Il y a plusieurs façons d’aborder un film, surtout lorsqu’on n’en connait à peu près rien, ni du pitch, ni de l’équipe aux commande. Avec l’envie d’en découdre, sur le mode jury de concours télé, « convaincs moi, sors du lot, montre-moi ce que t’as à vendre ». Ou avec une certaine bienveillance pour le petit anonyme qui aimerait se faire une modeste place à côté des plus grands que lui.
De la bienveillance, il en faut beaucoup pour ce téléfilm fauché : c’est sur ce premier aspect qu’on peut d’ailleurs fonder une certaine tolérance, tant sont criants les manques de moyens. Réduit la plupart du temps aux espaces clos, ne nous montrant d’un bateau qu’une barrière sur une mer numérique, Brooklyn passe son temps à bricoler ses scènes pour tenter de nous immerger dans cette reconstitution du New York des 50’s. Quelques semaines après Carol, la transition est forcément assez douloureuse.
Mais qu’importe, pense-t-on, puisque l’essentiel pourrait être ailleurs : dans cette destinée féminine déchirée entre le home Irlandais et le Nouveau Monde. Reconnaissons que Saoirse Ronan s’en sort plutôt bien, mais qu’elle n’est pas vraiment gâtée par la partition qu’on lui propose. Certes, ne pas tomber dans les travers d’une intrigue poussive au pathos alambiqué pourrait être mis au crédit du film : il ne s’agit après tout que d’une destinée comme tant d’autres, et de dilemme auquel a dû faire face toute la vague migratoire au XXème siècle. On a connu Nick Hornby autrement plus inspiré.
Mais tout est si vain, surligné par une musique particulièrement pénible, dénué d’enjeux ou de complexité, qu’on ne peut s’impliquer dans le film, ni s’accrocher au plaisir d’une reconstitution historique. La modestie des gens du peuple, la timidité d’un amour naissant, tout cela se travaille et s’épaissit d’une authenticité qui n’est pas donnée au premier venu.
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Shotgun Stories - 8/10

Messagepar Nulladies » Mar 22 Mar 2016, 06:25

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The Unexpected Virtue of Silence

La modestie des moyens expliquerait, dit-on, l’épure de Shotgun Stories. Mais à le voir à rebours de la filmographie désormais flamboyante de Jeff Nichols, on est en droit de se poser la question : a-t-il forgé dans l’adversité cette tonalité consistant à dire peu sur des sujet plus ambitieux, ou cela était-il déjà dans ses intentions initiales ?
Le contexte de la tragédie fratricide était en effet propice à l’emphase : c’est d’ailleurs une gradation qui semble construire le récit, initié par la mort d’un homme ayant refait sa vie, reniant sa première famille et ses trois fils pour une vie plus rangée. Les funérailles, où le fils Son (épaulé par ses frères Kid et Boy, prénoms archétypaux un brin poussifs, mais dont on excusera la naïveté à mettre sur le compte du premier film…) crache sur le cercueil, souillant l’oraison funèbre d’une vérité qu’on préférait oublier.
Le rapport aux parents a toujours été l’un des centres névralgiques du cinéma de Nichols : la mère ici haineuse, schizophrène dans Take Shelter ou tendrement démissionnaire dans Midnight Special est une figure d’une étrange absence : les femmes, d’ailleurs, subissent passivement la folie vengeresse des hommes, qui ne parvient à enrayer la mécanique tragique. Sur ce point, Jeff Nichols atteste d’une maturité étonnant pour un premier film. Il ne s’agit pas d’opposer deux camps, mais de distribuer à part égales la stupidité et l’aveuglement. On croit un temps que la nouvelle fratrie appartient à une autre classe, et qu’une fracture sociale va alimenter les conflits. Il n’en est rien : l’Arkansas semble ici niveler les statuts, en témoignent ces nombreuses transitions paysagistes de champs de coton ou de fleurs, esthétiquement indifférents aux agitations vaines des hommes qui les traversent. La profondeur de champ est par ailleurs une dimension essentielle de la dramaturgie : a de nombreuses reprises, le premier plan est occupé par des personnages statiques tandis qu’une voiture entre dans l’arrière-plan, le plus souvent antagoniste. Cette lenteur de la prise de contact, alliée au sens des ellipses concernant les pics narratifs (procédé très fréquent chez Nichols) établit un rythme atypique et fascinant. L’essentiel, en effet, n’est pas dans le fracas des corps ou des mises à mort, mais dans ce qui les motive, ou pourrait les désamorcer. Le personnage de Shampoo, sorte de marginal à l’œil entravé d’un bandeau blanc, venant sans arrêt envenimer les relations, fonctionne comme le détonateur : figure dévoyée de l’allégorie de la justice, à moitié aveugle, il incarne l’erreur de ces frères qui demandent sans fin réparation. En ce sens, la stratégie d’un des frères coach sur le terrain de basket, est un symbole éclairant : il s’agit de placer les individus et de réfléchir à une chorégraphie. Mais dans ce monde étrange où rien ne semble vraiment fonctionner, on doute pendant toute la première partie de son statut : a-t-il vraiment des joueurs à placers ? N’est-il pas dans une sorte de délire solitaire ? Car Shotgun Stories aborde aussi cette question fondamentale de l’oisiveté Assis dans la rue, l’un des protagonistes affirme : « If owned this town, I’d sell it ». Le caractère taiseux des rednecks, leur incapacité à socialiser parce que la parole n’a pas sa vertu de liaison. Ainsi, lors d’un affrontement, Son reproche à un de ses frères de s’être emporté… mais à l’autre de s’être défilé.
Mais la noirceur du propos ne l’emporte pas cependant entièrement, et on reconnait là l’autre patte de Nichols : comme dans Take Shelter, c’est la voie d’un apaisement qui se profile, par le biais d’une maturité, qu’on pourrait qualifier de l’adoption d’une part féminine par le protagoniste, qui s’ouvre à la paternité et aux autres, à la manière de Mud. Son doit laisser partir (thème central de Midnight Special, inversé dans les polarités père/fils) le père pour accepter que l’inaction soit le geste fort : baisser les armes et boire, au soleil, une bière avec les survivants, dans l’espoir que les générations futures ne portent pas la haine des origines.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar osorojo » Mar 22 Mar 2016, 09:44

J'aime bien ton approche, une critique intéressante pour ne pas changer :super:

Par contre, t'as une 'tite coquille dans ton titre ;)
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Mer 23 Mar 2016, 06:26

osorojo a écrit:J'aime bien ton approche, une critique intéressante pour ne pas changer :super:

Par contre, t'as une 'tite coquille dans ton titre ;)


C'est vrai, merci ! :wink:
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Take Shelter - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 23 Mar 2016, 06:27

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The answer is growing with the wind

Quiconque a vu Take Shelter peut raisonnablement se poser la question : le revoir ne lui ôte-t-il pas une part majeure de sa puissance percutante ?
La réponse permet de juger de la grandeur du film, qui dépasse largement les promesses d’un twist émoustillant : Take Shelter gagne à être revu pour dévoiler les nombreuses strates de sa densité émotionnelle.

Dans la filmographie de Nichols, cet opus a tout de la grandiose transition entre les questions familiales et le point de bascule vers un univers fantastique, du séminal Shotgun Stories à l’audacieux Midnight Special.
Du premier film, l’emprunt se fait surtout par l’entremise du silence, que Shannon poursuit d’un rôle à l’autre. Structurant et riche d’une angoisse aussi poisseuse que la pluie grasse qui le souille, le silence est le pivot entre le monde des rêves et le réel. Ce réel inhabitable qui contraint le père de famille à une surdité plus patente encore que celle de sa fille, s’enfonçant dans le sol et le mutisme convaincu.
Face aux crises paranoïaques du protagoniste, Nichols tisse un réseau de la déconstruction : le montage parallèle entre ses actes et ceux de sa femme, lui à l’intérieur, elle sur les marchés, sur sa foreuse, elle à sa machine à coudre, donne l’illusion initiale d’une complémentarité, soulignée par une musique cristalline qui fausse les pistes d’une vie traditionnelle à l’américaine.
Si l’atmosphère se tend, et si elle parvient si bien à crisper le spectateur lui-même, c’est dans le travail redoutable opéré sur les points de vue : alors que les cauchemars de Curtis occupent toute l’imagerie initiale, sans qu’il soit jamais possible de les déterminer avant leur terme dans un réveil effrayé, le regard se déplace progressivement. Une longue période d’accalmie ménage les pistes d’une explication psychiatrique : les symptômes de la mère, la crainte d’être séparé des siens pour un traitement, et qui justifierait de les garder encore plus près de soi dans l’abri, protégé non pas des intempéries, mais du monde extérieur ; indices auxquels s’ajoutent les ruptures, professionnelles, amicales et sociales (le chien la communauté), et qui isolent davantage encore notre aliéné en puissance.
Le défilé de la normalité achève de nous faire quitter son univers mental : le diner au Lions Club, l’arrivée du frère, et le regard effrayé de sa fille, que ses errements vont condamner à rester plus longtemps enfermée dans son handicap. L’ami, qui faisait figure de cas au départ, évoquant un plan à trois et se noyant dans la bière, est devenu la référence en matière de stabilité : le regard peiné, qui juge, puis qui dénonce.
Nous sommes désormais convaincus par cette école du regard : Curtis est désormais impénétrable, investi d’une mission d’illuminé et notre empathie se déplace sur l’épouse, Jessica Chastain, oscillant entre l’effroi et le soutien face à son mari.

Lenteur, intensité des regards, pitié généralisée : Curtis lui-même ne cherche plus la répartie, fort de cette certitude que ses rêves le préparent, lui seul, au réel.
Spoils

Le film aurait pu, bien entendu, s’achever sur ce premier paroxysme qu’est la sortie de l’abri : la tempête a lieu, et l’épouse opte pour la thérapie comportementale avec son époux, le forçant à sortir lui-même pour se réconcilier avec le monde. L’échange mutiques des émotions, panique de l’un face à la bienveillance de l’autre, découpé dans un espace fantastiquement exigu, occasionnent une séquence cathartique d’une rare intensité.
Mais Nichols refuse de s’arrêter là, et pour une raison précise, qui irrigue tous ses films : celle d’une foi en la rédemption, particulièrement paradoxale puisqu’elle se paie d’une destruction radicale : c’est l’adieu à la vengeance dans Shotgun Stories, l’adieu au fils dans Midnight Special. Ici, le retour à la raison pour Curtis voit se concrétiser sa plus grande crainte : le projet d’un internement loin des sien, retour tragique du destin de sa mère. Avant cela, les vacances à la plage, un temps abandonné, résonnent comme une parenthèse d’amour avec les siens.
Et c’est là que tout se joue : le cataclysme redouté a bien lieu, puisqu’il est vu du point de vue de son épouse. À première vue, c’est l’effroi qui l’emporte, celui du spectateur face à ce revirement de point de vue et la raison donnée à celui qu’il avait abandonné, donnant corps à tous les cauchemars dans une promesse d’apocalypse absolument terrifiante.
Mais à bien y regarder, Nichols propose autre chose : la tempête identifiée via le langage des signes par la fille ; la complicité de deux êtres amoureux : l’acquiescement de Samantha face à son mari, et une phrase, « OK » qui lui redonne sa place. Le monde va à sa perte, mais la confiance est retrouvée. Le monde s’achève, mais les parents s’aiment : cette victoire contre la solitude et l’incommunicabilité transcende le sort de l’univers.

You are like a hurricane
There's calm in your eye.
And I'm gettin' blown away
To somewhere safer where the feeling stays.
I want to love you but I'm getting blown away.
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John McCabe - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Jeu 24 Mar 2016, 06:27

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Capital dans la douleur

L’envers de l’Ouest : on le connait désormais, parce qu’on a commencé à voir des films bien après l’âge d’or hollywoodien, pour être remonté à la source à rebours par les voies radicales d’Eastwood, Peckinpah ou Leone. Mais ce film de 1971 en propose une lecture à la fois plutôt novatrice pour son époque, et surtout dans une tonalité qu’on ne retrouvera pas de sitôt.
Robert Altman, qui s’est déjà essayé à la comédie potache avec Mash ou au thriller malsain avec le méconnu et intense That Cold Day in the Park aborde donc ici un territoire patrimonial, avec ce regard acerbe des 70’s qu’on peut retrouver chez Arthur Penn. Sur ce continent nouveau, les villes se bâtissent, et le Land of opportunities n’a jamais aussi bien porté son nom. Mais, loin de jouer la carte de la légende traditionnelle, c’est dans une ambiance quasiment nouvelle vague qu’il expose sa communauté : lenteur, dialogues spontanés, personnages faillibles compose ce petit monde balbutiant, qui se construit dans la boue, les vapeurs de l’alcool et les jeux d’argent. Le projet fédérateur du récit, un bordel, en dit d’ailleurs beaucoup sur la façon d’aborder le mythe américain. Pas de violence outrancière, beaucoup de médiocrité. Sur ce registre, la partition de Warren Beatty est une nouvelle fois aux antipodes de ce que son allure de playboy lui permet d’habitude : comme dans Bonnie & Clyde, il s’agit d’aller à revers de l’héroïsme, par une figure alcoolique, limitée dans son éducation, humiliée à plusieurs reprises par des patrons, des femmes ou des rivaux, avant de se lever pour assumer sa stature.
John McCabe est un film sur la collectivité, en témoigne son titre original qui évoque un couple, et non un héros solitaire. En dépit d’un protagoniste défaillant, l’association avec Mrs Miller donne un nouveau tournant au récit, qui prend une tournure quasi documentaire sur l’émergence d’une ville par le prisme d’un de ses centres névralgiques, le bordel. Hygiène, confort, décor : c’est l’histoire du commerce qui se joue ici. Mais au moment où se construit une forme d’idylle économico-sentimentalo-communale, c’est aussi, bien entendu, le rappel de l’extérieur, sur une dynamique tragique proche de celle de La Vallée perdue, l’autre film de l’utopie dévoyée. Le capitalisme est une spirale de l’écrasement, dans laquelle l’individu finit tôt ou tard par perdre. Les personnes, en dépit de leur âpreté, n’ont eu que le temps de se rendre attachante, pas de s’installer pleinement : les vautours promoteurs fondent sur le nid.
L’appréhension très pertinente de l’espace par Altman permet une familiarisation avec l’urbanisme naissant : l’Eglise, la taverne, et cette poétique illusion d’une civilisation de la nature par cette passerelle fragile sur le plan d’eau : autant de pôles qui seront revisités par les cadavres qui finiront par les joncher.
C’est l’occasion trouble donnée au cinéaste de reprendre les codes du western qu’on croyait définitivement délaissés : duels, chasse à l’homme, meurtres. Mais ceux-ci resteront englués dans cette gangue cruelle du réel : lenteur, anti-héroïsme, contaminant jusqu’aux possibilités d’une intrigue sentimentale, par un montage particulièrement cruel opposant le feu et la neige dans les ultimes plans.
Naissance d’une nation et requiem des illusions : bienvenue dans l’Ouest.
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Sel de la terre (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 26 Mar 2016, 06:32

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A journey through the blast

Voilà un projet qui ne payait pas de mine : Wim Wenders retraçant la vie d’un illustre photographe, Sebastião Salgado.
A quelques exceptions près, le documentaire se limite à un témoignage face caméra du sujet, en alternance avec ses clichés. Quelques ruptures permettent de le voir échanger avec Wenders lui-même, ou dans son domaine brésilien, ainsi qu’en séance de photo parmi les morses.
Si Wenders opte pour une forme aussi limitée, c’est sans doute pour proclamer sa foi en la puissance évocatoire des clichés en question. Dès le départ, il explique le choc que fut la découverte de ce photographe : car Wenders prend lui aussi la parole, en français comme Salgado, tous deux caractérisés par un accent aussi solide que séduisant.
Et force est de constater que ces photos sont sublimes : noir et blanc, d’une brillance incroyable, travaillant un noir comme seul Soulage sait le faire en peinture. Longuement exposée, racontées par la voix off de leur créateur, elles révèlent tout leur pouvoir de fascination.
Car le second intérêt, hormis celui de la valeur esthétique qui a elle justifie déjà qu’on s’intéresser à Salgado, réside dans le parcours qu’il restitue : reporter, le photographe a arpenté la planète pour un état des lieux éprouvant : des mines d’or à la famine du Sahel dans les années 80, du Rwanda à la Bosnie en passant par le Koweit, son travail est un constant implacable sur les horreurs générées par la fin du XXème siècle.
Se dessine alors une nouvelle piste, celle de la crise du regard. Salgado, à qui on a notamment reproché d’esthétiser sur la misère humaine, ne peut plus couvrir les mêmes sujets, fatigués et écœuré de ce que l’actualité vomit. L’héritage de la ferme parentale au Brésil le fait changer d’activité, et replanter une forêt disparue, thérapie qui va lui permettre de se réconcilier avec le monde par l’entremise de ce que la nature a à offrir à l’écart des hommes. Cette morale, application fidèle du fameux « Il faut cultiver son jardin » qui clôt Candide de Voltaire, pourrait être vue comme un élément supplémentaire à l’hagiographie d’un photographe par un cinéaste. Il n’en est rien : c’est bien de la gestation et de l’innutrition d’une œuvre qu’il s’agit, car l’acte concret de l’homme, planter des arbres, va lui permettre de retrouver l’élan nécessaire pour capturer à nouveau le monde : dans ces liens entre vie artistique et individuelle, désespoir idéologie et enthousiasme esthétique, se joue le portait universel de l’artiste.
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Note: 8/10
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Tous au Larzac - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Dim 27 Mar 2016, 06:42

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Fantaisie militante.

Le cinéma documentaire est un continent à part dans le 7ème art, qui mérite qu’on y fasse des incursions fréquentes pour en mesurer l’étendue et le potentiel. Après les belles découvertes que furent Grizzly Man et Le Sel de la Terre, place à une tentative française. Christian Rouaud revient ici sur la décennie soixante-dix où un collectif de paysans lutta pour préserver ses terres sur le plateau du Larzac, menacés d’expropriation par un vaste projet d’extension d’une base militaire, écho d’un âge d’or au combat mené aujourd’hui contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes.
Le principe est élémentaire, et n’excite pas forcément a priori : images d’archives et témoignage d’une dizaine de protagonistes, 40 ans après les faits.
Rouaud ne s’en cache pas : il est clairement du côté des militants ; avec une véritable tendresse, il dresse la cartographie foisonnante de tout ce qui fait la contestation de l’époque, des Mao à l’extrême droite en passant par les hippies et les non violents : perdus au milieu de ces mouvances, les agriculteurs doivent malgré eux définir une ligne, en bon cathos de droite devenus des renégats.
C’est sur cette tonalité que le film remporte sa première victoire : celle d’un regard ému et souvent amusé sur ces années de lutte par ceux qui l’ont vécue, et les souvenirs du grand jeu que furent les diverses actions pour se faire entendre, entre les brebis sous la tour Eiffel et l’encerclement agricole des militaires. A mesure que le film progresse, le spectateur fait connaissance avec les protagonistes, et Rouaud parvient à nous les rendre particulièrement attachants et familiers.
C’est aussi dans l’art du montage que tout se joue : les archives sont exploitées avec un sens aigu du récit, une dynamique qui lorgne du côté du western, permettant une immersion dans une période bouillonnante, où l’on va voler des documents secrets dans une base militaire, on construit une bergerie, on occupe des fermes abandonnées, on se met en travers des tanks : les deux heures du film passent à toute allure et atteignent un point d’équilibre d’une grande finesse : saluer la solidarité d’un groupe face à l’inertie sourde de l’Etat, le tout grâce à ce qui fait toute l’inventivité du citoyen : la malice, le sourire, et la conviction d’être dans son bon droit.
Subjectivité assumée, construction d’orfèvre, caractérisation des intervenants : ou comment le documentaire à tout compris à la fiction pour donner à voir le réel.
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Triple 9 - 5/10

Messagepar Nulladies » Lun 28 Mar 2016, 06:07

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Un braquage sans les pacifiques

Quand on y pense, un film de braquage, ça peut facilement faire illusion : une mise en scène nerveuse, une bonne musique pour maintenir la pulsation, quelques twists, des personnages torturés, on saupoudre de femmes, de balles, de macchabées, et le tour est joué.
Le cahier des charges est appliqué ici à la lettre, et il suffit de brandir la référence Heat pour exciter les radars. Même Le masque et la plume, sur lequel je suis tombé un peu par hasard la semaine dernière, défendait le bouzin, et comme certains avaient au préalable affirmé de bien belles choses sur Midnight Special, je me suis laissé convaincre.
Il faut bien reconnaitre que John Hillcoat n’est pas le dernier des tâcherons, et qu’il maitrise souvent son sujet, notamment dans le braquage d’ouverture, et particulièrement dans ses suites : le marquage des billets au fumigène rouge à l’intérieur de la voiture est efficace, ainsi que la fusillade qui s’en suit.
La convergence des récits vers un double enjeu (provoquer la mort d’un flic, le fameux code 999, pour détourner l’attention du braquage) comporte aussi son petit lot de tension, et le montage parallèle avec ses diverses complications est plutôt habile. Reconnaissons qu’on ne sait pas trop où on va, ce qui dans un thriller peut s’avérer une bonne chose.
Mais pour en arriver là, il aura fallu souper d’un bouillon dispensable. Galerie de personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres, au premier rang duquel trône Woody Harrelson (« j’ai un accent patate chaude, je récupère des spliffs dans les poubelles mais je suis un daron de flic »), suivi de près par Aaron Paul (« je suis torturé, j’ai les yeux rouges, je me shoote et je gère pas la mauvaiseté humaine, oui oui, je faisais déjà ça dans Breaking Bad ») et d’une kyrielle de guys qu’ont des balls, face à la mafia judéorusse, et aux gangs latinos.
Histoire de justifier qu’on se mouille jusqu’aux couilldes dans ces braquos plus que foireux, ajoutons un gamin, une parraine qui ferait flipper Eva Braun (Kate Winslet, maquillée comme la voix de Renaud dans son dernier single), et des enjeux tragiques tu vois : si tu veux voir ton fils, tout ça.
Les ripoux, la ville la nuit, les bombes, les parkings, les cagoules, les sirènes, tout le folklore est bien convoqué. S’en plaindre serait un peu malhonnête dans la mesure où c’est ce qu’on était venu chercher. Mais de là à y voir une réussite imparable dans le genre, il y a aussi long à parcourir que du coffre-fort à la rue un jour de forte affluence.
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Knight of Cups - 5/10

Messagepar Nulladies » Mar 29 Mar 2016, 06:32

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L’omnipotence d’être distant.

Il y a quelque chose d’étrangement paradoxal dans la posture de Malick : c’est un cinéaste qui se fait désormais omniprésent, et qui ne cesse pourtant de nous affirmer qu’il nous quitte.

Qu’il quitte la modernité, le récit, l’incarnation, le monde des hommes, le spectateur, même, pour nous parler d’un au-delà auquel son œuvre donnerait des bribes d’accès.
On peut longuement et vainement s’acharner sur les lourdeurs d’une telle entreprise, et surtout ses ratés ; interrogeons-nous plutôt sur la manière dont elle se déploie, et ce qu’elle cherche à dire.

Knight of Cups peut être considéré comme une affirmation de liberté absolue, dans la mesure où l’on ne prend plus la peine de trouver des prétextes narratifs pour lester ses propos, équilibre instable qui plombait notamment A la merveille : en cela, ce nouvel opus est plus radical, plus assumé dans son expérimentation.

The pieces of your life never to come together, just splashed out there.

Le film est une forme de poème, un montage dont la métrique reposerait sur trois axes majeurs : la photographie, le mouvement et le son. Pour la première, paysages grandioses, nuits urbaines à la clarté laiteuse, ressac des vagues, il faut une fois encore souligner le travail d’orfèvre d’Emmanuel Lubezki.

Everything is there. Perfect. Complete. Just as it is.

Pour le second, l’immobilité est proscrite, comme elle l’est d’ailleurs dans le cinéma de Sorrentino : lente, contemplative, elle arpente les architectures, les routes d’une Amérique un peu folle et décadente. Quant au son, il se scinde en deux entités : la musique, bien entendu, accès privilégié aux sphères célestes dont Malick a toujours abusé, ainsi que le recours aux voix off. Plus que jamais, la quasi-totalité des paroles sont restituées par ce biais.

De ces trois axes surgit une alchimie incontestable : la beauté, un accès à un lyrisme d’une grande pureté, et par la même, peut-être une forme de foi dans une immatérielle présence qui nous accompagnerait sans qu’on puisse généralement l’appréhender.

Non, tout est une voix et tout est un parfum ;
Tout dit dans l’infini quelque chose à quelqu’un ;
Une pensée emplit le tumulte superbe.
Dieu n’a pas fait un bruit sans y mêler le verbe.


(Victor Hugo, Les Contemplations, Ce que dit la bouche d’ombre)

Mais dans cette synesthésie, prenons la mesure de la grande absence : celle de l’individu. Tout n’est ici que distance. Du grand angle qui déforme pour mieux donner à voir, de la voix off sous forme de commentaire d’un propos premier qui ne nous est plus donné, des questions et des messages cryptiques qui délaissent le dialogue initial. Les femmes s’enchainent et se livrent à la même oisiveté, les lieux de perdition aussi, attestant d’une certaine limite dans le regard du cinéaste : certes, il s’agit de fustiger la vanité de ce monde luxueux dans lequel évolue un Christian Bale privé de personnalité, mais cet enchainement de figures (mannequins, villas de luxe, scènes d’oisiveté amoureuse avec diverses stars) pourrait durer 20 minutes comme huit heures.

Malick nous a quitté, et distille avec une sagesse éthérée cette nouvelle donne.

You think when you reach a certain age things will start making sense, and you find out that you are just as lost as you were before. I suppose that's what damnation is.


Les questions qui jalonnent ce parcours (Which way should I go ? How do I begin ?) sont certes amenées à trouver des réponses : non au suicide, comme celui du frère, fi de la vanité des plaisirs futiles de ce bas monde, vers ce mot final, tellement facile : Begin. Ouvrons les yeux sur l’évidente beauté du monde dans laquelle se logerait de quoi nous offrir sagesse et recul. Mais lorsque cette beauté se fait au prix d’un discours aussi éthéré, qu’elle nie à ce point l’incarnation de l’homme, on est vraiment tentés d’en rester à cette matérialité terrestre dans laquelle on se sent minable, certes, mais vivants.
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Michael Kohlhass - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mer 30 Mar 2016, 05:24

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Votre arme est un paysage choisi.

Il suffit à la caméra de s’attarder sur le visage de Mads Mikkelsen pour que le sombre charme opère : un personnage, une intention, une violence latente, tout l’amour du monde, aussi, vibrent dans cette présence.
Tout ce qui l’entoure ne sera que l’écrin de cette évidence : la lande cévenole, les roches, la musculature chevaline, le soleil occulté au gré du vent par les nuages.
Michael Kohlhaas restitue moins le parcours d’un homme que son inébranlable conviction : celle d’obtenir réparation pour une atteinte à sa personne. A la princesse dont il fait vaciller le royaume, et qui lui demande s’il est fanatique, il répond : « J’ai des principes ».
Minéral, sobre et brut, Kohlhaas affronte la rudesse d’un monde ancien, où l’on change les règles en fonction des opportunités : XVIème siècle encore tout pétri, dans sa nature sauvage, par la violence médiévale.
Il ne s’agit pas d’opposer aux temps ancien une figure humaniste qui en serait le phare nouveau et isolé : Kohlhaas est un homme de son temps : un corps, avec son épouse, un silencieux en osmose avec ses bêtes, et qui, sans le vouloir, va entrainer à sa suite l’armée des muets dans une jacquerie dont il ne maitrisera pas le terme.
La puissance romanesque du récit conserve un atout majeur, celui de ne jamais tout sacrifier à la reconstitution : les dialogues semblent contemporain, la langue trop littéraire dans la bouche de certains : c’est qu’on a conscience d’être au service d’une fable presque atemporelle, où le corps qui souffre, jouit ou affronte ne s’embarrasse pas de convenances. De ce fait, l’accent aussi acéré que le sont les traits de son visages rendent le danois plus imperturbable encore au monde qui l’entoure, et suit la crête aigue des roches montagneuses.
Arnaud des Palières parvient à donner ce sentiment rare face à un personnage : le cinéaste est à son service, et les moyens qu’il met à sa disposition dénotent l’admiration profonde qu’il a pour lui. C’est particulièrement vrai dans le lien de Kohlhaas aux paysans qui le rejoignent et qui fera conclure à la princesse : Tu vis autant de l’amour que de la crainte que tu inspires.
Cet ascendant involontaire, ce rôle de porte-drapeau est le point de pivot du récit tragique : alors que l’homme ne cherchait à revendiquer qu’en tant que propriétaire et mari, le voilà à la tête d’une armée qui lui échappe, et précipitera sa chute.
C’est pourtant dans le silence que tout se joue, quelle que soit l’intensité du drame : victoire et défaite, justice et adieux à ceux qui restent : Kohlhaas prend ce qui vient avec une minéralité que certains nomment indifférence, d’autres la sagesse. Mais ce mutisme a, quoi qu’il en soit, la densité bouleversante d’un paysage de montagne : il nous domine et nous inspire l’admiration.
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