Modérateur: Alegas
Cloud Atlas est non seulement le modèle suprême de ce que doit être une adaptation de roman mais c’est sans doute le film le plus fou, le plus ambitieux et le plus maitrisé vu depuis une éternité au cinéma.
Pour les Wachowski, il n’y a pas d’autres règles en vigueur que les leurs, celles édictées par leur statut de cinéastes visionnaires. Cela se traduit concrètement par une réinvention profonde du processus de narration, et donc par le montage. Dans Cloud Atlas, les différentes strates du récit se répondent en permanence, les barrières entre chaque époque tombent immédiatement, un personnage d’un récit peut intervenir le temps d’un plan pour faire avancer la trame d’un autre récit et ainsi de suite. Les règles poussiéreuses sont ici balayées par l’esprit de véritables créateurs, qui après avoir révolutionné la grammaire cinématographique du numérique dans Speed Racer s’amusent à bousculer les conventions narratives pour faire avancer leur art. Et ce à la manière des grands maîtres, ce qui leur vaut bien entendu d’être à nouveau incompris par une frange du public qui ne supporte pas d’être violentée dans ses habitudes.
D’une précision redoutable dans la construction des cadres, carrément folle dès qu’il s’agit de filmer de l’action (une course-poursuite dans Neo-Séoul qui rappelle que les Wachowski sont les rois de l’exercice aujourd’hui), toujours juste pour illustrer un propos sans jamais le sursignifier et comptant en permanence sur l’intelligence du spectateur plutôt que de lui servir une information prédigérée, la pure mise en scène de Cloud Atlas est un modèle à suivre. Chaque plan, chaque insert, chaque transition, est au service du récit et n’a aucun autre but. Du pur cinéma de maître.
Cloud Atlas est peut-être le film qui a su toucher au plus près le cœur de la notion de karma, avec un tissu de personnages évoluant soit vers le Nirvana soit vers un cycle de mal infini. Et de cette illustration littérale du Samsara, le film va multiplier les thématiques fortes jusqu’à en créer une sorte de constellation. Là encore, chaque nouvelle vision, chaque nouveau regard, chaque nouveau spectateur y trouvera un message précis. Cloud Atlas est tout sauf un film uniforme, c’est une entité vivante évoluant et mutant selon à qui elle s’adresse.
Véritable cri du cœur, le film se fait clairement l’écho des opprimés de chaque époque (esclaves, homosexuels, artistes de l’ombre, personnes âgées et bien sur les femmes à un niveau d’objectisation extrême…) en les faisant se répondre de la façon la plus intelligente qui soit. C’est bien une des multiples pistes de lecture, plus souterraine que le simple cycle de réincarnation. Une autre vision passionnante, et quelque part terriblement romantique, est celle visant à considérer Cloud Atlas comme une gigantesque histoire d’amour, ou plutôt l’histoire du grand amour. Car au milieu de ces récits révolutionnaires, de cet esprit de libération des corps et des êtres, parmi ces manipulations et ce retour cyclique à l’état sauvage, parmi ces sacrifices et cette lutte permanente, se dessine au fil des minutes le récit fondamental : celui d’un homme et d’une femme qui se cherchent vie après vie pour enfin se retrouver et accéder à une existence paisible bien méritée après s’être battus avec leur karma et le prix de leurs mauvaises actions.
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