
Love Life
Koji Fukada - 2022
Film vu sans la moindre idée de l’histoire. Autant dire que j’ai été bien cueilli par un certain événement qui arrive à la 23ème minute. Il y avait déjà avant un malaise certain avec cette histoire de fête d’anniversaire, ces beaux-parents qui débarquent, ce beau-père qui fait des reproches pas très fins à sa bru et cette belle-mère qui, tout en étant amicale, y va aussi de sa remarque maladroite. Arrive alors un événement tragique et c’est à partir de lui que le film commence vraiment avec, pour un couple, un tiraillement entre resurgissement de fantômes du passé et avenir incertain.
Dans l’histoire, il y est question d’un jeune garçon champion d’Othello, jeu extrêmement populaire au Japon (les champions internationaux sont la plupart du temps japonais). Dans ce jeu, les blancs y affrontent les noirs sur un plateau où l’espace est peu à peu limité par le nombre des pions qui grossit à chaque tour. D’une certaine manière, c’est à une partie d’othello à laquelle on va assister entre les deux protagonistes. Taeko, l’épouse, joue évidemment avec les noirs car elle est la réprouvée, la femme divorcée, la « recyclée » – pour reprendre le mot aimable du beau-père – qui traîne derrière elle l’enfant d’un autre. Jiro joue avec les blancs car lui est irréprochable, attentionné, parfait. Mais par leur différentes actions, l’intrigue reproduit cette faculté des pions de l’othello à être retournés pour montrer alors la couleur opposée. Taeko devient blanche quand elle a le front de répliquer à l’insulte de son beau-père pour ensuite faire preuve d’une héroïque magnanimité à son encontre lors de la fête d’anniversaire. Mais elle redevient noire ensuite quand, lors d’un autre événement – que là aussi nous ne révélerons pas – surgit son premier mari, disparu depuis plusieurs années. Là, on se dit vraiment : « Mais qui est cette femme en fait ? Quelle est son histoire ? ». C’est léger, mais il y a alors en elle quelque chose de suspect, de louche. Et puis les pions redeviennent blancs quand justement les détails de cette histoire nous sont donnés petit à petit et que l’on comprend la nature exacte de ces deux personnes. Inversement, Jirô deviendra noir quand il rencontrera par deux fois son ancienne maîtresse.
A cet aspect s’ajoute celui de l’espace, de la distance. Dans l’othello, le damier devient de plus en plus occupé, de plus en plus serré. Ainsi la situation de Taeko et de Jiro qui non contents de se rencontrer au même endroit dans leur quotidien professionnel, ont les beaux-parents dans un immeuble de l’autre côté de la rue. Lors d’une rencontre antérieure, l’ex de Taeko avait ressurgi dans un lieu de promenade puis, dans le dernier tiers du film, occupe carrément l’appartement des beaux-parents qui ont déménagé. Il pénétrera aussi dans le domicile conjugal et sera même dans la salle de bain, alors que son ex est en train de prendre un bain. Rétrécissement de l’espace d’un côté, éloignement symbolique de l’autre. Jiro a beau dans une scène enlacer Taeko sur le futon, les regards ne se rencontrent presque jamais, sans parler des positions des corps qui semblent souvent esquiver l’autre. C’est patent lors du dernier plan alors que retentit la magnifique chanson éponyme d’Akiko Yano et que l’on se dit que, finalement, cette partie d’othello sera probablement elle aussi inachevée, et c’est tant mieux.
Bref, tout un tas de détails qui rendent ce film beau et passionnant à suivre et qui, dans leur miroitement (il est d’ailleurs question dans le film d’un objet qui miroite et qui aura une importance cruciale), tissent un réseau dont la subtilité est largement au niveau de celle d’un Kore-eda. Assez hâte du coup de voir son Love on trial (sorti cette année) sur une idole de Jpop ayant rompu une mention de son contrat précisant qu’elle ne devait pas avoir de liaison amoureuse.