

Porte des Lilas
René Clair - 1957
Un certain charme, oui, mais pas un charme certain.
Le principal intérêt est d’y voir Brassens dans son unique rôle au cinéma. Si la prestation n’a rien de déshonorant, on sent aussi que le chanteur n’est pas particulièrement à l’aise, et l’on comprend pourquoi il ne réitérera pas l’expérience (contrairement à un Jacques Brel beaucoup plus convaincant). Il y a cependant présence, et même voix, forcément, quand on l’entend chanter trois chansons. C’est d’ailleurs un peu frustrant car avec sa capacité à insuffler joie ou mélancolie, il y avait moyen d’améliorer l’atmosphère du film en contrebalançant le côté criard et misérable par une poésie populaire qui aurait pu accompagner et rendre plus touchant l’intérêt du vieux bon à rien alcoolique qu’est Juju (Pierre Brasseur) pour Maria (Danny Carel), la fille du bistrotier, ou encore de son admiration un peu stupide pour un malfrat en cavale, Pierre Barbier (Guy Vidal).
Car j’avoue avoir eu du mal à accrocher au triangle amoureux entre ces personnages. Bon, j’ai peut-être vu trop de Tora-san, mais c’est vrai que Brasseur en canard boiteux de la famille m’a semblé trop jouer sur le même registre. Et qu’il soit pris d’admiration pour le connard fini qu’est Barbier n’est pas vraiment convaincant. Vidal fait un peu Jean Marais du pauvre et son hystérie de tous les instants est tellement irritante qu’on se demande pourquoi les deux compères qui le planquent ne finissent pas par craquer et le livrer aux cognes. Même chose pour le personnage de Danny Carel. Je veux bien croire qu’elle est habituée aux rôles de petites grues sexy et décérébrées, mais quand même… s’amouracher de ce type… bon un Delon ou un Belmondo, j’aurais compris, mais là… – il est vrai aussi qu’avec l’environnement vinassé dans lequel elle vit, on peut comprendre qu’elle ait très envie de mettre les bouts avec le premier venu.
Même l’aspect populaire ne me semble pas totalement réussi. C’est esquissé au gros charbon, j’aurais aimé un peu plus de moelleux, de tendresse, avec des personnages plus ronds, moins aigres (là aussi, merci Tora-san). Exemple avec les sales gosses du quartier : j’ai beaucoup aimé la scène où on les voit par la fenêtre du bistrot jouer dans la rue toute une scène de braquage, braquage qui accompagne la lecture à haute voix par le bistrotier d’un fait divers répondant exactement à ce que miment les mômes. Mais à côté de cette scène, ils sont la plupart du temps autant de mômes piaillards et insupportables. Lors d’une scène, l’un d’eux s’empare de la gratte de Brassens pour chanter n’importe quoi. C’est tout un symbole : une potentielle poésie chantée environnée d’une odeur de crotte et de caniveau.
Certain charme, donc, mais aussi occasion manquée je trouve, si l’on avait vaqué Brasseur et Vidal (bon, les miches de Carel, on peut les garder) et surtout donner plus d’importance au personnage de Brassens.