Richard Fleisher est vraiment un touche à tout, qui a brillé un peu dans tous les genres : aventures (
Les vikings), tueurs en série (
L'étrangleur de Boston), western (
Le sang dans la poussière), et ici avec la SF d'anticipation. Un classique de la même trempe que
Fahrenheit 451 ou
1984, avec lesquels il partage la même portée prophétique, mais aussi peut-être leur côté daté dans l'aspect graphique (moins les décors que l'ampleur de certaines scènes), bien que sa réalisation soit meilleure.
Cependant, la sincérité qui s'en dégage, et la crédibilité de l'environnement, font que le film s'en tire assez bien. Le fil directeur est une enquête policière se déroulant en temps réel (doté d'un rythme assez lent), mais qui selon moi est avant tout un prétexte pour explorer ce futur proche qui, après une introduction sur fond de musique "tranquillou" nous amenant à cette évolution nécessaire après des décennies d'industrie intensive, questionne nos habitudes de vie fondamentalement anti-écolo. L'une des forces de
Soleil vert est son esthétique minimaliste qui traverse bien les affres du temps, malgré un manque visible de moyens. En effet, un simple filtre vert figure la nouvelle atmosphère asphyxiante et donne son style au film, et l'architecture urbaine semble propre à l'époque de tournage comme si le temps et l'évolution technologique qui va avec s'étaient arrêtés, un procédé d'immersion à contre-courant d'une utilisation exagérée des SFX, et qui permet facilement d'accepter l'univers créé.
L'autre qualité du film, ce sont les nombreux thèmes traités qui sont un régal pour ceux qui savent observer (j'ai eu la même impression avec le récent
Fils de l'homme qui grouille de références allusives). D'abord, une frontière marquante est établie entre pauvres, dormant les uns sur les autres par manque d'espace (l'église est d'ailleurs "recrutée" pour stocker les plus démunis), et riches qui détiennent toutes les ressources (même les plus belles femmes, simples mobiliers sans cervelle) et vivent dans des immeubles très "tendance". La vérité est réservée au cercle des puissants, qui manipulent les plus ignorants à faire ce qu'il faut pour que ça demeure ainsi. Dans les rues l'insécurité est permanente, comme en témoignent les gardes armés à l'entrée des maisons tant convoitées. Ensuite, la culture est représentée par des débris vieillissants croupissant dans des bibliothèques encombrées qui disparaîtra sûrement avec eux. Enfin le dernier espace de spiritualité est réservé aux vieillards qui décident de mourir en accompagnant leurs derniers moments avec quelques images aseptisées d'une planète révolue (ce n'est pas un hasard que la musique d'ascenseur propre à ce cadre soit la même que dans les buildings de riches, vidés de tout humanisme). Une scène doublement forte, pour l'émotion qu'elle dégage en donnant la mesure de ce qui est perdu malgré une imagerie stéréotypée du bonheur, et pour le cynisme qui se développe après-coup.
Le personnage principal (interprété par un Charlton Heston plus que désabusé et relâché) n'est pas mieux loti que les autres, un détective semblant sortir de Roumanie habitant une vieille bicoque, et qui profite de la moindre occasion pour aller piquer des denrées rares durant ses enquêtes dans les appartements de riches (même une meuble-femme !). Sa relation avec son bibliothécaire est très touchante, surtout lorsqu'ils cassent la graine en dégustant des aliments qui ont du goût, contrairement à ce qu'ils sont obligés de bouffer d'habitude. On le sent bien, la moelle du film, ce sont ces valeurs ou denrées perdues au nom d'une science galopante. L'autre moment fort est sa relation avec cette femme-meuble qui devient presque normale, mais qui, comme tous les autres objets de l'appartement, demeure de l'ordre du consommable, avec une profondeur qui lui semble interdite malgré sa faible révolte intérieure.
En ce qui concerne l'enquête, ce n'est pas la force du film, mais heureusement que le film a bien d'autres atouts. Elle est même un peu trop rapidement goupillée à la fin, avec une myriade d'indices et de facilités sur son chemin jusqu'à l'illumination finale qui donne tout son sens au titre, brûlant de vérité prophétique. Il y a aussi d'autres aspects
cheap comme l'ampleur de la petite révolution des pauvres qui retombe comme un soufflet (avec les fameuses petites ramasseuses qui prêtent plus à rire qu'autre chose). Mais la mise en scène maline (peu de trucages), et le message percutant et radical de l'ensemble parviennent à bien résister à ces petits défauts : que l'homme, après avoir tout détruit, ne peut que se détruire lui-même.