par Scalp » Mer 03 Avr 2019, 16:47
8,5/10
Dragged Across Concrete de S.Craig Zahler - 2019
"I'm not racist. Every Martin Luther King Day, I order a cup of dark roast."
Alors Zahler ne sera jamais considéré comme un grand réalisateur, mais il doit s'en foutre de ça (d'ailleurs il le dit lui même il ne veut pas faire des films qui vont changer le monde mais faire des films qui soient bons), dans ses films y a toujours des petits défauts mais le mec propose un cinéma qu'on ne voit plus aujourd'hui, un cinéma qui ne baisse pas son froc devant des exécutifs, qui ne dit pas tient si on rajoutait un quota ethnique ou gay, qui ne dit pas je peux pas montrer ça c'est pas très politiquement correct, je dois absolument dénoncer Trump, je peux pas avoir cette idée c'est too much, Zahler s'en bat les couilles royales, et il fait des films qui lui ressemblent.
Dragged Across c'est le genre de truc qu'un gros studio ne produira jamais, ça dure 2h40, y a pas de tête d'affiche (parce que bon Mel ça fait longtemps que c'est plus vendeur), c'est un polar (un genre devenu de moins en moins vendeur avec le temps) et c'est sans concession.
2h40 pour une telle histoire c'est clair qu'on peut trouver ça trop long, y a des trucs pas toujours forcément utile mais y a une sorte de mood qui fait que c'est quand même plaisant, des trucs qui font pas avancer l'histoire ou caractérisent les personnages, je pense notamment à la digression avec Jennifer Carpenter, je vois bien ce que cherche à faire Zahler mais j'ai juste envie de dire ouais c'est cool mais on s'en branle (en vrai je m'en branle pas). Et c'est jamais chiant alors que foncièrement pendant 1h30 il se passe pas grand chose, on a des gars qui parlent dans une voiture et d'autres qui font des trucs qu'on est pas sur de comprendre sur le coup, car Zahler il t'introduit des personnages sans rien expliquer à nous de nous démerder avec et puis après 1h30 on a un braquage et un après braquage de très très grande qualité, alors encore une fois malgré une tension omniprésente, ça prend son temps, ça jacte encore mais maintenant ça fait parler la poudre et faire parler la poudre on sent que ça l'a démangé l'ami Zahler donc autant dire que quand on sort un gun avec lui c'est toujours fait avec classe ou avec la petite idée ou le petit effet gore qui fera son effet, et en cet époque de plan cut à tout va, lui il choisit souvent de poser sa caméra ce qui donne des chouettes plans par moments (le plan avec Mel accroupit sur sa voiture et qui s'appuie sur le camion il est ultra classe (bon dit comme ça ça parait nul mais dans l'action ça saute au yeux).
Et chez Zahler y pas de sous texte pour faire style tavu moi je veux revendiquer des choses ou je fais du cinéma qui dénonce (je cite personne la liste est trop longue), non chez Zahler on a des flics racistes borderline et faut pas s'indigner. Et j'adore la façon qu'il a d'écrire ses personnages, alors j'irais pas comparer avec Tarantino car ils font pas le même genre de film mais je trouve qu'il y a la même facilité pour caractériser rapidement un personnage et l'iconiser avec pas grand chose. Pour moi Zahler est clairement un auteur, il écrit et réalise ses films et il a vraiment un style d'écriture et même de réalisation bien à lui.
Alors c'est curieusement rythmé, au début on suit différents persos sans trop savoir où ça va nous mener, même si on se doute que tout le monde finira par se rencontrer, et ça se suit grâce au duo Gibson/Vaughn qui est parfait (l'alchimie est évidente) et Gibson est une vraie évidence dans ce rôle, après Costner/Woody, on se dit qu'il y a encore un cinéma qui fait plaisir à voir, les dialogues sont bien cools et puis après 1h30 braquage et c'est parti pour 1h tendu du string où tout peut arriver, où tout le monde peut crever où on verra des actions qu'on a jamais vu avant (entre la clé et l'otage qui fait une action WTF c'est vraiment surprenant) mais plus ça avance plus on se doute de l'issue finale et Gibson et le black on des chouettes dialogues eux aussi.
La réal de Zahler c'est du sans fioriture mais y a souvent une vraie classe qui se dégage de tout ça et il est quand même super à l'aise dès qu'il s'agit de filmer l'action, y a un coté à l'ancienne qu'on voit plus trop aujourd'hui, on pense un peu au McQuarrie de Way of the gun. Savoir filmer l'action c'est un truc qui s'invente pas en fait, soit on sait, soit on sait pas (quand on sait pas on multiplie les caméras ou les trucs au montage en général), et en général le plus efficace ça reste un truc avec le moins de plan possible, l'exemple parfait ici c'est lors de la première scène où un coup de feu est tiré dans une braquage de supérette, le choix de placement de la caméra, l'attitude du mec, la rapidité des gestes, on est sur une scène très simple à mettre en scène mais à l'efficacité redoutable.
En plus la photo a vraiment une bonne gueule.
Le film est bien entendu porté par la présence magnétique de Mel Gibson dans son meilleur rôle depuis tellement longtemps, et qui rejoue enfin dans un bon film, Vaughn est classe aussi et le reste du casting fait très bien le taf (Don Johnson est toujours aussi charismatique).
L'absence de musique est un réel plus ici, ça en rajoute dans la lenteur et donne un coté de tension permanente au métrage, et faire ce genre de film sans musique est assez couillu.
Alors on dira surement que c'est trop long, ou tout ça pour ça, mais bon après ça ira dire que Oppenheimer c'est super bien, que le trailer de Joker c'est trop génial parce qu'on dirait Taxie Driver et que Roma c'est trop touchant, donc bon, un vrai bon film pour ceux qui aime encore les vrais films et pas les copier coller. Et en complément du film je conseille vraiment son roman Dédale Mortel.
Zahler le dernier descendant des Siegel, Peckinpah et Aldrich.
"We have the skills and the right to acquire proper compensation."
Critiques similaires