par Eikichi Onizuka » Ven 12 Juil 2019, 08:28
Pas d'humeur ... alors faut écrire.
La faille
Prologue
Je me rappellerai toujours d'un professeur qui, dès le premier cours à la fac, nous avait dit : « si vous êtes ici en pensant trouver du travail par la suite, sortez immédiatement ». Ces mots résonnent encore comme une sainte prédiction, tel Nostradamus.
Acte I : Au lycée.
On vous demande rapidement ce que vous voulez faire, devenir, sans forcément vous expliquer quelles filières vous y amèneraient. Il y a ceux qui savent, qui on tout prévu, et les autres, qui ont une idée mais qui se doit d'être peaufinée. On vous vend également, du moins à mon époque, du rêve selon le niveau d'études. « Bac + 5 ? Tu négocieras ton salaire et tu seras bien payé ». Comme si tous les Master 2 se valaient et comme si le monde du travail n'attendait que des M2 tout droit sortis de la fac. Les enseignants n'aident pas tellement, les conseillers d'orientation peu exploités dans les lycées sont oubliés (qui se souvient de l’emplacement de leur bureau?) et leurs conseils peuvent paraître souvent inutiles quand on a 17 ans. Alors quand on est attiré par un domaine, tel que l'environnement, mais que l'idée d'un métier n'est pas construite, on se tourne vers la faculté.
Acte II : En soit, ce n'est pas idiot.
On acquiert une méthodologie, des connaissances, un savoir qui ne demande qu'à s'exprimer. Vous buvez les paroles des enseignants, vous engrangez le maximum d'infos, vous élargissez votre vision d'une filière dont vous ne soupçonniez même pas l'étendu. A quoi cela va-t-il servir ? Une Licence en poche vous vous rendez compte que ça ne va servir à rien. On vient juste de vous préparer pendant trois ans au Master. Le choix de ce dernier est déterminant. Sauf qu'on vous ment, on vous vend des statistiques faussées et erronées pour deux raisons. Le maintien du master l'année suivante et le poste des enseignants. Vous sortez de là en vous croyant prêt et lorsque l'on cherche du travail, on vous demande un BAC+5 avec 3 ans d'expériences. Ai-je loupé quelque chose, une étape ? Car à part mon travail estival d'étudiant, qui consistait à laver des vitre et nettoyer toute sorte de bâtiments administratifs ou agricoles à 40/45 heures la semaine, l'expérience demandée je ne l'ai pas. Et qui l'a à la sortie de la fac d'ailleurs ? Ainsi quelques cas de figures s'offrent à nous.
1) Ceux qui vont pouvoir bouger dans toute la France. Car oui, à en croire le monde du travail on trouve toujours ce que l'on veut, mais pas souvent là où l'on habite. C'est mal foutu quand même. Blague à part on ne peut pas tous s'exiler du jour au lendemain.
2) Ceux qui peuvent retourner chez leurs parents pour chercher tranquillement du travail et prendre, pourquoi pas, quelques mois de repos, se lancer dans un voyage.
3) Et ceux qui vont rester ''bloqués''. Un appartement à gérer, une vie de couple, une forte attache à la région, des études décalés, une envie de garder son indépendance financière par exemple.
Dans le troisième cas, il faut vite se débrouiller, car je le rappelle, quand on sort de la fac on n'a rien le droit. Pas de chômage car on n'a pas travaillé assez et, selon l'âge, pas d'aide sociale.
Acte III: Que faire ?
Travailler pardi et souvent avec un boulot alimentaire, même si je n'aime pas ce terme car il n'y a aucun sous métier. Mais force est de constater que ce n'est pas forcément le job qu'on aurait rêvé de faire. Qu'importe, un salaire entre tous les mois et on se dit « ce n'est que provisoire ». Sauf que le provisoire s'installe. Rapidement on se sent un peu comme un ordinateur voir un robot (Wall E, tu connais ?). Si il n'est pas mis à jour il est obsolète. L'homme, l'humain je veux dire, peut-il vraiment lui aussi être obsolète ? C'est ce que l'on ressent quand on sait que chaque année des milliers d'étudiants, plus jeunes, plus frais sortent de la fac, d'écoles, de formations. Alors on se réinvente, il le faut. On cherche un travail qui va avant tout nous plaire, peu importe l'expérience on essaye, on tente peut être plus de choses tout en sachant que notre objectif de départ va s'éloigner. Les CDD sont une belle opportunité justement. Et d'ailleurs souvent ce que l'on essaye on le réussit, mais enchaîner les CDD ça va un temps. Il arrive un age où l'on souhaite une certaine stabilité. Les expériences professionnelles diverses et variées nous apprennent à nous adapter à chaque difficulté, on s’enrichit, on apprend, on montre une polyvalence à travers plusieurs corps de métier et une grande adaptabilité. Cela peut s'étaler sur deux, trois voir quatre ans. Mais on a toujours en tête nos études, ça ne vous quitte jamais, on veut y retourner.
Acte IV : Les formations
Ce sont un bel exemple de reconversion professionnelle ou de mise à niveau. On veut se stabiliser avec un métier qui nous plaît et en plus on peut être formé par des entreprises. Pour ça, il y a l'alternance. Il faut s'y préparer mentalement car c'est un retour à l'école soit dit en passant. Qui dit alternance dit entreprise et c'est là que le bât blesse. Vous apprenez, à 30 ans que vous êtes trop vieux. Oui, en fait vous coûtez trop cher. Pourquoi ? Parce que la loi est mal faite tout simplement. Jusqu'à 21 ans une entreprise qui vous prend en alternance devra vous payer 65% du SMIC soit 988,79 euros BRUT par mois. De 21 ans à 25 ans et 364 jours c'est 80% du SMIC soit 1216,98 euros BRUT par mois. Il me semble également que les charges patronales sont allégées pour ces deux tranches d'age. Puis il y a les 26 ans et plus. SMIC complet à 1521,22 euros BRUT par mois, charges patronales à fond, bref un salarié classique. Pourquoi créer une telle disparité entre les étudiants, sachant que l'on aura tous le même statut et qu'on arrive tous à compétences plus ou moins égales ? Bien entendu les entreprises vont favoriser les plus jeunes, il faudrait être idiot pour faire le contraire. On arrive donc à un moment donné ou même le SMIC est trop élevé. La formation qui doit nous aider à rentrer dans une stabilité est elle même un parcours du combattant. Ainsi un jeune qui finit ses années de fac à 24 ans, par exemple, n'a que deux ans pour se stabiliser voir penser à une nouvelle voie, avant d'être considéré comme trop vieux si il choisit l'alternance pour se reformer. Et même quand entretien il y a, l'employeur peine à comprendre votre parcours éclaté. Comme si la reconversion professionnelle devait déjà être réfléchie des années à l'avance. Ne peut-on pas se poser les bonnes questions et vouloir foncer vers un projet qui nous parait possible en l'espace de quelques semaines ? C'est un triste constat, mais c'est tout simplement la vérité. On arrive donc en plein dans cette faille évoquée dans le titre.
Épilogue
Pas assez d'expériences pour certains, trop d'expériences disparates pour d'autres, trop vieux dans certains cas. On se retrouve au milieu d'une zone étrange où on l'a l'impression de rentrer nul part. Et là ça devient dangereux. On veut tous être utile, avoir un travail, aider la société, fonder une famille, mais quand on se trouve dans cette faille, on a juste l'impression d'être rejeté, d'être inutile, de ne servir à rien, de profiter et de devenir tout doucement un paria. Alors oui on peut être utile différemment, les associations sont un excellent moyen de sentir mieux, mais même si l'argent ne fait pas le bonheur, merde, il en participe grandement. Et je n'ai pas évoqué les périodes de chômage qui vous plombent encore plus et qui renforcent ces idées (et non, le chômage ce n'est pas cool). Ça vous ronge, s'installe tout doucement en vous et c'est mauvais. Perdre pieds, il n'y à pas pire. L'injustice ne s'est jamais autant fait ressentir, j'ai rarement senti autant de colère en moi, que je garde, car mon entourage n'a pas à le subir, mais les mois à venir seront décisifs. On pourrait se demander, comme Kery James, à qui la faute, mais aucune réelle réponse émergerait. Un mélange de choix, du système, de la société qui nous amènent tous dans une direction différente. Sans dépeindre un tableau noir, j'ai l'impression de ne pas voir le bout d'un tunnel dans lequel je me serais engouffré il y a bientôt 5 ans. Si il faut se battre plus, alors battons nous plus, oui nous car je suis certainement loin d'être le seul. Mais que la sortie sera belle et lumineuse ... normalement.