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Fargo - 8,5/10

MessagePosté: Dim 28 Juin 2015, 07:14
par Nulladies
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Vertiges de la lose

Fargo, c’est avant tout une ligne droite, cette saignée grisâtre dans la neige qui trace avec une mélancolie infinie une direction unique, aussi tragique que pathétique.
Les protagonistes ont beau faire tous les détours possibles, comme William H. Macy par ses circonvolutions sur un parking ou les branquignoles qu’il emploie dans leurs échanges atones : rien n’y fait, la linéarité demeure, magnifiée par des plans larges ou des plongées oppressantes, qu’on retrouvait déjà dans la claustrophobie de Barton Fink. Petites silhouettes perdues au milieu d’enjeux minables, parce que si profondément à la hauteur de la médiocrité humaine, les protagonistes se perdent dans la neige comme d’autres erraient en forêt dans Miller’s Crossing.
Pour que rien ne fonctionne et qu’on se délecte avec un léger malaise de cette entreprise de déconstruction, il faut que tout fonctionne, et c’est bien là l’une des immenses qualités de ce film : rendre palpable cette lose infinie d’un protagoniste enferré dans les sables mouvants de sa médiocrité, et que chaque initiative enfonce davantage. Autour de lui, quelque soit le côté de l’échiquier, c’est l’erreur de jugement qui domine, des petits notables de province désireux de faire justice eux-mêmes, de l’épouse au Q.I d’un pied de chaise qu’on ferait mieux de laisser kidnappée à ses ravisseurs, truculents Peter Stormare & Steve Buscemi, entre mutisme sociopathe et logorrhée nerveuse.
Chez les bouseux du Minnesota, le polar est malmené. Les attendus scènes de climax, du rapt aux rançons, des poursuites, au fusillades, tout est désactivé par la maladresse généralisée et l’incapcatié chronique des personnages à être à la hauteur du genre dans lequel ils s’illustrent. Mais à la différence des maladresses de Burn After Reading où la bêtise tournait à la caricature un peu vaine, le personnage de Frances McDormand change la donne, instaurant un équilibre précaire, entre authenticité et satire, entre quête de la vérité et médiocrité du quotidien, simplicité et vanité de tous ces formidables interrogatoires où l’on s’applique à parler pour ne rien dire, comme ce trait distinctif qu’on accorde au personnage de Buscemi :
- Kinda funny lookin’
- In what way ?
- Oh, just in a general kinda way.

Au-delà de l’enquête, c’est donc un portrait qui surgit : celui d’une femme dont la simplicité désarmante contrebalance la noirceur du monde, qui porte la vie en elle et sait se réjouir de ce qu’on croit dans un premier temps méprisable au même titre que le reste. De cette drôlerie féroce, de ce regard porté avec la même fixité que sur les meurtres et les échecs, le spectateur tire dans la séquence finale un sentiment d’autant plus étonnant qu’il était inattendu : une empathie, embarrassée, mais bien réelle. Ou comment dépasser le simple cynisme par un contrepoint humain et donner une épaisseur autrement plus intéressante à la simple farce cruelle. C’est bien là ce qui habite la plupart des films des frères Coen, qui ont souvent su équilibrer cette lucidité sur l’homme et la compréhension à l’égard de sa triste condition, particulièrement dans A serious Man ou le magnifique Inside Llewyn Davis, et que la phrase qui clôt l’enquête par McDormand résume de façon imparable :
“I just don’t understand”.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Dim 28 Juin 2015, 13:18
par pabelbaba
Faudrait que je le revoie, j'avais trouvé ça plus pathétique que drôle.

Mais depuis j'ai vu le Sam Raimi et j'ai peur que la comparaison ne soit pas en faveur des frères Coen.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 07:42
par Jimmy Two Times
Fargo est bien trop souvent pris au sérieux alors que le prisme des Coen, ça a toujours été la déconne. Oui Macy et les persos qui gravitent autour de lui sont pathétiques, c'est ce qui fait la force du film et personnellement me fait pisser de rire.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 07:50
par pabelbaba
De toute façon j'ai maté un gros bout de Jurassic Park 3 hier et je pense que je fais un blocage sur Macy. :mrgreen:

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 08:18
par Scalp
Acteur de merde Macy, fact.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 09:52
par Jimmy Two Times
Sauf dans Fargo, où il est parfait :mrgreen:

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 09:56
par Jed_Trigado
pabelbaba a écrit:De toute façon j'ai maté un gros bout de Jurassic Park 3 hier et je pense que je fais un blocage sur Macy. :mrgreen:

Ça doit surement être sa moustache qui t'obsède.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 10:01
par pabelbaba
Le pire c'est que tu dois être dans le vrai, parce que je l'aime bien dans Shameless. :eheh:

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 10:50
par Alegas
Jimmy Two Times a écrit:Sauf dans Fargo, où il est parfait :mrgreen:


Boogie Nights, Magnolia, Lady Chance, toussa toussa.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 10:58
par Jed_Trigado
Dans Edmond surtout.

Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

MessagePosté: Mer 01 Juil 2015, 12:51
par Mark Chopper
Et Urgences. En fait, il est bon malgré sa gueule de victime.

Plan simple (Un) - 7/10

MessagePosté: Ven 03 Juil 2015, 08:19
par Nulladies
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Take the money and gun.

Il n’y a pas que la neige qui fasse le lien entre Un plan simple et Fargo : on ne cesse se penser à son frère ainé au visionnage de ce petit joyau noir de Sam Raimi, dans sa période de transition entre le film de genre et les blockbusters de la trilogie Spiderman à venir.
Un plan simple semble régner sous le principe du malin plaisir. Sur le canevas éculé du magot trouvé par hasard et modifiant les petites vies minables des bienheureux, le récit s’accorde à caractériser des personnages bien trempés, bouseux neigeux qui font pencher un temps la tonalité du côté de la comédie grinçante. On retrouve ici la même maladresse que chez les frères Coen, à la différence que le personnage principal, incarné par Bill Paxton, se place comme un pivot de raison et de bon sens, américain et pragmatique jusque dans sa mâchoire, autour duquel le duo du frère demeuré, sorte de nouvelle mouture du Lennie de Steinbeck dans Des Souris et des Hommes et de son acolyte poivrot s’acharnent à lui mettre des bâtons dans les roues. C’est là l’une des évolutions les plus pertinentes du scénario : effriter progressivement ce vernis du référent et humaniser la loque qui lui sert de frère, un Billy Bob Thornton splendide de fragilité pathétique. Pour ce faire, c’est par le rôle de l’épouse que tout se délite, Bridget Fonda en potentielle lady Macbeth, qui donne naissance en même temps qu’elle révèle sa vénéneuse vénalité, mais aussi des incursions dans le passé familial qui dévoilent les zones d’ombre d’une histoire qu’on va pouvoir, croit-on, réécrire par le pouvoir de l’argent facile.
Manipulation, mensonges, alliances et chantages gangrènent tous les échanges jusqu’à étouffer toute possibilité d’issue, et cette oppression est la grande réussite de film aussi noir qu’est blanche la neige, écran sur lequel les giclées rouges vont se faire de plus en plus nombreuses.
Si les deux éléments de résolutions semblent assez grossiers et brisent un peu la belle dynamique du pire enclenchée depuis le début,
(Spoil : franchement, Hank semble très facile à convaincre pour exécuter son frère, de la même façon que cette méthode rendant inutilisable les billets semble facile au point de désactiver toute entreprise criminelle – et donc bon nombre de scénarios policiers - à venir…) la mécanique du pire et du médiocre fonctionne bien, ménageant son lot de suspense et une incarnation des personnages sur la durée qui les rend aussi repoussants qu’efficaces.

Playtime - 5/10

MessagePosté: Sam 04 Juil 2015, 07:32
par Nulladies
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Ecrin total.

Tout cinéphile qui se respecte doit un jour se frotter au cas Jacques Tati. Le type incontournable, l’orfèvre, le génie millimétré, le grand alchimiste du son.
Playtime, film somme et film maudit, gouffre insondable de sa carrière, force en effet l’admiration.

Monument allées

Monumental, le film l’est sur tous les plans. Par son décor tout d’abord, reproduction grandeur contre nature de l’architecture des années 60, écho direct aux fameuses Choses de Perec, éloge de la glaciation consumériste ou le bleu des façades reflète le gris du bitume, univers aussi fascinant que carcéral qui contient une comédie humaine de fourmis dépourvues de langage, auquel se substitue un travail maniaque sur le son qui rythme cette machine bien huilée. Héritier de Metropolis et des Temps Modernes, Playtime poursuit cette réflexion sur la désincarnation de l’homme moderne en milieu urbain, pris dans la frénésie de la cadence industrielle.

Les fleurs du mall

Mais à la différence du pessimisme de la dystopie de Lang ou de la figure clownesque du rebelle Chaplin, Tati prend le parti de chorégraphier ce réel pour en faire surgir le beau. Saturés et construits avec un sens du détail pathologique, ses tableaux s’imposent à la manière de ces albums de jeunesse où la double page illustrée sans texte peut offrir à l’enfant des heures de contemplation. Filmé en 70mm, le film propose un parcours nouveau du regard : il ne s’agit plus de suivre un récit linéaire, mais de parcourir à sa guise, au fil de sa curiosité, une succession de plans d’ensemble dans lesquels on sera libre d’isoler des fragments de sens : telle construction de profondeur, tel écho dans le placement des personnages, tel jeu de couleur, telle synchronisation rythmique.

Sage against the machine

Foin de discours : pas de parole, des mouvements. Pas de douleurs individuelles, mais une masse qui bouge et une musique qui progressivement emporte la foule dans un cadre trop neuf pour y résister, les cloisons craquant sous la pression du divertissement. Nulle dénonciation explicite, mais un jeu avec les obsessions d’une époque que l’alchimiste un peu timbré transforme en poésie : la transparence, l’innovation technologique, les néons, le trafic, autant de figures de style sur la partition de sa symphonie visuelle.

…and God is empty, just like this.

On peut rédiger des thèses entières sur la richesse de Playtime, et elles existent assurément. On peut dire à quel point l’œuvre est inépuisable, certains doivent, j’imagine, le revoir avec un plaisir sans cesse renouvelé.
J’y suis pour ma part totalement indifférent. Face à ce splendide écrin, je reste dans l’attente d’une chose unique : un contenu. Cette forme splendide de maitrise dynamite volontairement les paramètres traditionnels du langage, du récit ou de la progression au profit d’un renouveau que nombre de cinéphiles saluent légitimement et avec lucidité comme un coup de génie.
Pour ma part, ça ne prend pas. Je ne ris pas, cette maitrise malade m’indiffère, je ne parviens pas à trouver une cohérence à cette dilatation du temps qui semble totalement arbitraire (qui plus est lorsqu’on apprend que la première version du film devait excéder les trois heures) et mon ennui qui pourrait refléter l’atmosphère anxiogène de cette société désincarnée n’est qu’un ennui de spectateur frustré.
Playtime ne semble obsédé que par un seul objectif : exhiber sa propre forme, certes virtuose.

Face à ce monde où tout se meut, homme et femmes, sans âmes, rien ne m’émeut.

Housemaid (The) - 6/10

MessagePosté: Jeu 09 Juil 2015, 05:57
par Nulladies
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Au service de sa rage lestée.

A l’image de l’employée qui investit les lieux prestigieux de son nouvel emploi, on se laisse rapidement prendre par l’atmosphère classieuse de The Housemaid. Cadrages superbes comme seuls les asiatiques savent les gérer dans l’architecture épurée qu’est la leur, composition des plans mettant en valeur les horizontales d’une demeure démesurée, plans obliques, plongées écrasantes ou contre-plongées fascinantes concourent à hypnotiser le spectateur en guise de teasing, avant de lui asséner une dose d’érotisme assez torride pour s’assurer de sa pleine et entière attention. La maitresse est fraiche et jeune, le maitre classieux, le vin rouge et la baignoire au design impeccable. On ne s’étonne guère de voir tout cela évoluer vers des ébats qui cadrent parfaitement avec ce catalogue de luxe sur papier glacé, en attendant de voir l’ébauche d’une véritable intrigue se mettre en place.
Force est de constater que c’est là que le bât blesse. Si le rapport ambigu entre maitre et esclave fonctionne un temps, les ressorts narratifs font basculer la dynamique générale dans un soap assez indigeste, à grands renfort de grossesses, d’accidents, de belle-mère machiavélique et de jalousie larvée. On se désintéresse assez rapidement de ces ficelles grossières, avec le regret de constater que l’esthétique imparable des débuts est toujours à leur service.
Certes, le raffinement coréen reste de mise, (décidément, après Locataires, il est intéressant de constater des constances dans leurs perversions, notamment via leur utilisation des clubs de golf…) et l’ensemble reste honorable, mais la lassitude finit tout de même par l’emporter, n’en déplaise au final grotesque et poseur qui joue la carte de l’image choc pour continuer à mériter son statut de film audacieux, à savoir une pendaison/torche humaine pour le moins inefficace.
Savoir filmer est une chose ; avoir quelque chose à dire une autre.

Locataire (Le) - 8,5/10

MessagePosté: Jeu 09 Juil 2015, 06:03
par Nulladies
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Voisinage au bout de l’enfer

Le parcours virtuose sur la façade de l’immeuble qui ouvre Le Locataire rappelle l’aisance d’un illustre ainé, Max Ophüls dans la première séquence du Plaisir. Mais là où sa caméra indiscrète nous donnait accès aux jeux secrets des alcôves d’un bordel, c’est la minéralité malsaine d’un lieu carcéral et pathogène que circonscrit ici Polanski. Insistante et lancinante, sa gestion de l’espace est l’un des coups de maitre de son film, dans la droite lignée de celle qu’il avait déjà mise en place dans les intérieurs claustrophobes de Répulsion, auxquels il adjoint désormais la labyrinthique paranoïa d’un immeuble tout entier : ses corridors, son voisinage, sa cour intérieure, et sa fameuse verrière en contrebas, invitation pernicieuse au suicide.

L’enfer c’est les autres :

L’intelligence redoutable du Locataire réside dans son aménagement progressif de l’aliénation. En faisait de son personnage, kafkaïen en diable, une victime consentante, Polanski ménage une dégradation des plus cohérentes de sa psyché. Trelkovsky est l’archétype du gentil garçon qui, ne voulant froisser personne, finit par occuper cette zone grise où il dérange tout le monde : excitant l’hostilité naturelle des autres, n’osant calmer ceux qui vont déranger ceux qu’il tente aussi de préserver, il devient le martyre ordinaire sur lequel la communauté va reporter toutes les fautes, bouc émissaire cathartique et silencieux. Le simple fait de vivre dans un appartement devient un enfer et le moindre geste se voit accompagné de la réprimande aveugle des voisins ou l’observation inquiétante du vis-à-vis.

Baroque around the block tonight.

On sait néanmoins la finesse avec laquelle Polanski traite ses personnages, leur refusant toujours ce statut trop confortable de victime à la merci d’une humanité foncièrement mauvaise : avec un sens de l’équilibre non dénué de sadisme, il fait de ses personnages de grands malades vont perdre pied et avec lesquels le spectateur va être forcé, par à-coups et hésitations savamment orchestrées, de prendre ses distances.
Disséminant les indices d’un délire éminemment culturel, Polanski multiplie les références, du cri de Munch à la momie de Gautier, et préfigure les obsessions qu’on retrouvera chez Cronenberg (le motif de la dent) ou Lynch (le dédoublement, les hallucinations) avec cette touche unique, oscillant sans cesse entre le grotesque et un ancrage réaliste, plaçant le spectateur sur le même fil du rasoir que son protagoniste.
L’accroissement de la folie s’accompagne d’une véritable émancipation visuelle, comme s’il fallait le décorum baroque d’une folie grandiloquente pour trouver le courage faire le pas décisif vers le vide. C’est évidemment le travestissement, mais aussi et surtout la métamorphose des interlocuteurs en prédateurs (on pense au couple de vieux dans Mulholland Drive, notamment), et enfin la mise en scène fantasmatique de rituels cabalistiques placés sous le signe du spectacle. La cour intérieure, lieu mystérieux et inquiétant offert au voyeur dans Fenêtre sur Cour, perd ici tout son mutisme pour se transformer en foire aux atrocités, théâtre de la cruauté dont le figurant contraint va devenir le protagoniste suicidaire.

Beauty double

On peut donc, le temps d’un saut dans le vide, laisser tomber le frapadingue et reprendre ses esprits. C’est sans compter sur la malice du pervers aux commandes. Le dédoublement final boucle digne de l’anneau de Moebius et que Lynch reprendra dans le superbe dénouement de Lost Highway, empêche la paix de l’esprit. Sans dénouement, sans logique, l’aliénation est un puits sans fonds et Polanski son fidèle peintre : une cavité buccale qui, béante, hurle la douleur indicible de l’effroi.