Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow
(2012)
Si j'ai souvent tendance à penser que le défi le plus compliqué pour un réalisateur est de mettre correctement en scène l'action au cinéma, puisqu'il est question de rythme, de lisibilité, de compréhension, de mouvement, de puissance de l'image et de dynamique (tout ce qui fait la force du 7ème Art donc), certains films viennent me rappeler de temps en temps qu'un bon cinéaste peut se faire remarquer par sa gestion totale d'un récit anti-spectaculaire, répétitif et compliqué, en le rendant à la fois limpide, captivant et jamais ennuyeux. Zero Dark Thirty fait partie à mon sens de ces rares films au sujet difficile à prendre en main et qui, pourtant, s'avèrent être des gros morceaux de cinéma.
Avec le recul, et sous réserve d'une revision prochaine de Strange Days, je considère clairement que ce film s'impose comme le tour de force de la carrière de Bigelow, qui signe ici non seulement son métrage le plus compliqué au niveau de ses intentions et de son sujet, mais aussi son meilleur film tout court, la réalisatrice arrivant à obtenir un degré d'intensité cinématographique assez impressionnant. J'avais déjà beaucoup aimé le film lorsque je l'avais découvert au cinéma, et pourtant cette revision m'a parue presque comme une redécouverte, tant j'avais totalement oublié à quel point Zero Dark Thirty est passionnant de bout en bout. Le film a pourtant de quoi faire peur, entre un traitement de son sujet rébarbatif (pendant deux heures, on suit des personnes presque uniquement dans des bureaux, à chercher la même information) et un personnage principal sur lequel l'empathie peut difficilement marcher (on comprend son combat et sa motivation, mais le fait est qu'elle perd son humanité au fur et à mesure que le film avance, jusqu'à ce plan final qui montre enfin qu'elle ressent quelque chose), et pourtant Bigelow arrive, par la force de son montage, à rendre la chose intéressant jusqu'au bout, pour conclure sur un assaut final qui pourrait bien être l'une des meilleures scènes de sa carrière d'un point de vue suspens.
Avec l'aide de son casting imposant (Chastain en tête, prouvant une fois pour toute la très grande actrice qu'elle peut être), Bigelow livre un portrait passionnant de l'évolution des États-Unis sans presque jamais les montrer (au mieux, on se retrouve dans des bureaux sur le sol américain) et surtout sans jamais faire de concessions quand à la façon dont l'affaire Ben Laden a été résolue, notamment sur le point délicat de la torture, qui ouvre carrément le film (au bout de vingt minutes, on se demande si on va aller jusqu'au bout du film tant c'est montré de façon naturelle, et une heure après on compatit presque avec ces personnes qui savent qu'avec la torture, une information vitale serait obtenue de façon plus rapide). Cerise sur le gâteau : la composition de Desplat, bonhomme qui, pourtant, arrive rarement à me convaincre, est géniale de bout en bout. Un grand film d'investigation, le meilleur de ces dernières années (mais bon, on préfère filer un Oscar à Spotlight, normal...).
9/10