Moebius
(Kim Ki-duk - 2013)
Un père de famille trompe son ennui conjugal avec une amante, sa femme trompe le sien dans l’alcool, le fils ado se masturbe. Une famille coréenne comme une autre quoi ! Tout dérape le jour où la mère découvre les infidélités de son mari. Profitant de son sommeil, elle se saisit un soir d’un couteau pour tenter de l’émasculer mais rate son coup. Elle se rabat alors sur son fils et cette fois-ci réussit. C’est le début des fascinantes aventures de cette fascinante famille coréenne…

Le Kimchisthan a toujours été un pourvoyeur sûr de films tuage-de-gueule. Avec deux variantes : d’un côté les pelloches avec un « shibal » (fuck) toutes les minutes, de l’autre des films sans dialogue, en fait ceux de Kim Ki-duk. Merveilleux Kim Ki-duk qui, sous couvert de films à l’apparence léchée et rassurante, semble toujours apprécier balancer à la frite du spectateur des scènes que ne cautionnent sûrement pas le ministère du tourisme coréen. Et dans le cas de ce Moebius, Kim semble s’être surpassé. C’est bien simple, tout se joue dès les dix premières minutes du film. Je précise ici que je n’ai pas tout dit dans le résumé, une petite surprise vous attend ! A la fin de ces minutes, trois réactions sont à envisager :
- Le spectateur dégueule, appuie sur la touche stop de sa télécommande et raye le nom de Kim Ki-duk de sa liste des réalisateurs à suivre.
- Il éclate de rire, appuie sur stop tout en se demandant qui peut bien être ce con de Kim Ki-duk (qu’il raye au passage de sa liste de réal’ à suivre).
- Médusé, il poursuit malgré tout le visionnage tout en se disant qu’il risque d’arrêter à tout moment
Il faut en effet avoir l’âme bien trempée pour suivre jusqu’au bout. Moi-même qui en ai vu des vertes et des pas mûres dans ma chienne de vie, je dois dire que j’ai été à deux doigts d’arrêter à cette scène où l’on découvre que le fils s’adonne, en secret, dans sa chambre, à cette dégoûtante pratique :

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Et il faut aussi dire que parmi les multiples interprétations du ruban de Moebius éponyme, cette surface dont l’unique face est à la fois son envers et son endroit, tragédie et rire semblent être indissociables. On veut bien y mettre toute la bonne volonté du monde, trouver que la direction d’acteurs de Ki-duk est franchement bonne dans son genre (créer du sens en leur demandant de rester muets et sans qu’ils utilisent les gestes appuyés du cinéma muet, gestes qui ruineraient le sérieux des scènes, tout cela Ki-duk y parvient assez bien, il est vrai qu’il est rôdé dans cette pratique) mais parfois, trop c’est trop. Attendez de voir ce que l’on peut faire avec un couteau planté dans une épaule et vous comprendrez ce que je veux dire (vous aurez même sans doute compris avant cette scène, avec le pauvre père et ses recherches sur internet, je n’en dis pas plus).
Avec cet alliage de sérieux et de grotesque, il y a du romantique chez Ki-duk. Et si l’on pousse plus loin la filiation à ce double registre, on se trouve devant ses films un peu comme face à une pièce de Shakespeare, Titus Andronicus notamment, cette pièce qui commence avec une vingtaine de personnages et qui se termine avec une poignée. Sumum de mauvais goût et de ridicule pour les uns, quintessence extrême de l’esthétique shakespearienne pour les autres, Titus ne laisse jamais indifférent et le spectateur est soi tenté d’aller jusqu’au bout pour voir dans quels méandres tortueux l’imagination du dramaturge va le mener, soit d’appuyer sur la fameuse touche « stop ».
Finalement, même s’il ne semble pas être voulu, peut-être faudrait-il prendre le rire comme un atout, comme un élément salvateur face au désespoir de cette humanité qui ne parle pas, qui, lorsqu’elle émet des sons, le fait pour crier ou grogner lors d’un viol, ricaner sur les malheurs d’autrui ou hurler de douleur. Au milieu de cette douleur universelle, un élément apparaît clairement comme son moteur et le moyen de l’oublier un peu :

Le sexe
(on apprécie ici les pastèq... enfin, la douce Lee Eun-woo, vue récemment dans Kabukicho Love Hotel).
Récapitulons : le père trompe madame avec la vendeuse d’une épicerie, madame castre son fils, et le fils, qui se branlait en cachette, eh bien ne peut plus et va donc chercher de quoi y suppléer, par exemple en violant collectivement la maîtresse de son père, maîtresse qui ressemble d’ailleurs étrangement… à sa mère (c’est normal, les deux personnages sont joués par Lee Eun-woo). Adultère, castration, complexe d’Œdipe, on baigne dans des motifs psychanalytiques qui là aussi prêteraient à rire mais qui, associés à l’esthétique minimaliste de Kim Ki-duk, apparaissent aussi parfaitement cohérents, donnant à son histoire des allures de tragédie antique, avec cette Médée qui va castrer son fils pour punir son mari d’un adultère, et ce fils qui semble être voué à sauter sa mère à un moment ou à un autre. Tiens ! Cela pour être ça, aussi, le ruban de Moebius : l’impossibilité de dissocier l’image de la mère à celle de la maîtresse.


Côté pichte, pas une pour rattraper l'autre.
Dernière interprétation possible du titre, et c’est une chose déjà aperçu dans les précédents films de
Ki-duk (notamment dans
Printemps, été, automne, hiver… et printemps) : l’imbrication entre sensuel et spirituel, entre idole charnelle (Lee et ses boobs) et idole religieuse (Bouddha dans le film). Ici difficile de dire si le film se finit bien avec ce plan fixe
Voilà donc pour
Moebius. Je gage que les amateurs de « cul glauque » (genre estimable s’il en est) sauront y trouver leur bonheur. Pour les autres, prévoir quand même une poche à vomi à proximité. Perso je suis mitigé devant le film. Même effet que les pièces de
Sarah Kane (décidément, le théâtre…). D’un côté dérouté par l’outrance du propos et des moyens, de l’autre l’impression que tout cela n’est pas totalement vain, qu’il y a quelque chose qui s’en dégage, que derrière un vernis suspect de glauque tape-à-l’œil se trouve un véritable artiste. Si en tout cas être artiste suppose être capable de faire connaître au spectateur une expérience des limites,
Kane et
Ki-duk le sont, indéniablement.
6,5/10
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– La photographie de Ki-duk.
– Lee Eun-woo en mode Russ Meyer.
– Du crapoteux à fond les manettes.
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– Pas très sain quand même, hein !
– Le rire : allié ou ennemi du film ?