[Nulladies] Mes critiques en 2016

Modérateur: Dunandan

Thomas Crown - 5/10

Messagepar Nulladies » Mer 09 Nov 2016, 06:36

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Lie another day.

Un remake, c’est toujours avec une certaine suspicion qu’on l’aborde, qui plus est si l’original était à la fois un bon film et le parfait produit de son époque.
Mais lorsque McTiernan est aux commandes, on est en droit de lui donner sa chance. Le petit génie cinéphile derrière des morceaux de bravoure comme Predator ou Last Action Hero, s’il s’empare d’un jalon du 7ème art, va forcément le faire avec déférence et désir d’en découdre.
Non ?
Peut-être la déférence se limite-t-elle au clin d’œil faisant de Faye Dunaway, splendide binôme de la première version, la psy de Thomas Crown, séquences qui servent avant tout le dossier de presse et les anecdotes inutiles servant à épaissir les critiques, comme c’est le cas ici-bas.
Parce que formellement, force est de reconnaitre que rien de nouveau n’advient sous le soleil : le film est assez paresseux, même si les deux séquences de vol dans le musée attestent d’une certaine fluidité et de quelques inventions scénaristiques, bien loin cependant des sommets de la carrière du McT.
Reconnaissons une constance, celle de l’intérêt du personnage féminin qui prend ici toute la place face à la beaugossitude pour le moins insipide du James Bond de service. Entreprenante, dénudée au point de dévoiler sa poitrine (un exploit en Hollywood aussi rarissime que la réussite des comédies en hexagone), gonflée et castrant au poteau toute la police environnante, Renee Russo tire son épingle du jeu.
Las, c’est là la seule audace : le politiquement correcte nivelle bien le reste du film. Notre millionnaire cambrioleur se pique d’art, et non d’argent, et ne cesse, au gré de twist plus poussifs les uns que les autres, de montrer à quel point il est amoureux et philanthrope. Car c’est bien à cela que se résume l’ensemble : une comédie romantique sirupeuse avec happy end bien rance, aux antipodes de la savoureuse amertume de l’original.
Dommage : pour la frilosité qui abime l’original, mais aussi, et surtout, pour celle de McTiernan, dont ce petit opus est une des facettes du grand gâchis que fut sa carrière.
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Martha Marcy May Marlene - 8/10

Messagepar Nulladies » Jeu 10 Nov 2016, 06:37

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La communauté de l’étau.

S’il était encore nécessaire de le prouver, Martha Marcy May Marlene démontre une nouvelle fois à quel point le fait de tout ignorer d’un film (pitch, bande annonce, etc…) peut servir l’intensité de son exposition.
Fondée sur un mystère et de nombreuses lacunes, le récit s’ouvre sur deux temporalités : celle d’un passé proche au sein d’une communauté qui se révélera progressivement comme une secte, puis celle de la « libération » par l’une de ses adeptes, Martha, donc, rebaptisée des autres noms éponymes lors de son embrigadement.
Tout est à apprendre : ce qui s’est passé, les raisons pour lesquelles la jeune fille a fui, ses liens avec celle qui l’accueille, à savoir sa sœur ; Sean Durkin dilue ses révélations dans une ouate trouée de toutes parts, par une ambivalence en totale adéquation avec son fascinant personnage. Le film est aussi l’occasion de révéler une actrice, Elizabeth Olsen, (aujourd’hui noyée dans des effets numériques de la franchise Avengers, et bien en peine de faire valoir son talent), aussi délicate qu’insaisissable.
Si la photo vintage est un peu excessive dans son mode Instagram, l’atmosphère du film reste très prenante par les liens qu’elle tisse sans cesse entre les deux époques, s’acharnant à déjouer les repères qu’on croit pouvoir établir. Martha révèle ainsi qu’elle fustige encore la vie banale de sa sœur et qu’elle reste convaincue par l’idéologie du groupe qu’elle a quitté. Sa confusion permet des raccords troublants entre ses souvenirs et le présent, embarquant le spectateur, par le point de vue interne, dans des séquences d’une confusion particulièrement efficace. On mesure ainsi le traumatisme vécu, et l’impossibilité de se défaire de l’aliénation subie. Celle qu’on avait déclarée « A teacher and a leader » se retrouve certes dépourvue, mais ce n’est pas son refuge qui lui apportera les réponses attendues : lieu interlope, cette maison de campagne du Connecticut est aussi décrochée du réel que l’était sa communauté auparavant, et son beau-frère a beau lui faire la leçon, personne ne croit vraiment dans sa posture pour le moins conformiste.
Autant de prénoms que d’identités, que de tentatives d’individualités : Martha échoue à nouveau, parce que le monde est illisible comme l’est ce lac dans lequel elle avait plongé, nue, et sur la lisière duquel le passé se réinvite. Le final, assez terrible, achève l’identification du spectateur avec cette protagoniste torturée : pas de distance, mais une immersion dans les tréfonds d’une angoisse qui semble sans issue, faisant de ce film un digne héritier de Polanski qui illustrait ce qu’est la réelle épouvante : celle des écarts de notre propre esprit.
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Femme de Seisaku (La) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 11 Nov 2016, 07:30

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La belle et le clocher.

Un village, des hommes, des femmes. La misère et le folklore, la guerre.
Même si une ou deux répliques ancrent le récit dans le Japon du début du XXème siècle avec la guerre contre la Russie, tout contribue à poser ici une fable hors du temps, à la dramaturgie universelle : celle des individus broyés par la collectivité.
Le portrait est d’abord celui d’Okane, à qui le titre refuse même un prénom, comme l’avait fait avant lui Madame Bovary : épouse dès l’âge de 17 ans à un riche vieillard, elle est doublement humiliée : d’avoir perdu sa jeunesse à ses côtés, et d’être considérée comme une prostituée lorsqu’elle en devient la veuve.
Face à elle, le modèle du village, Seisaku, japonais jusqu’à la moelle, soldat exemplaire qui se met en charge de régler la vie de sa communauté au son d’une cloche qu’il va sonner chaque matin.
Deux résistances avant la rencontre : Seisaku, qui irrigue de ses principes modélisant une foule un peu paresseuse, et Okane qui refuse de jouer le jeu du formatage, assumant la souillure qu’est la sienne.
L’amour qui va les unir, loin de faire l’unanimité, sera le révélateur d’une inversion des forces. À partir du moment où l’évidence de leurs sentiments peut mettre en péril certaines valeurs et émailler les sacro-saintes apparences, la masse se dresse.
L’agression est finalement constante : sur le terrain conjugal, de la femme vendue à la putain réprouvée, des commentaires désobligeants et de la vulgarité générale, aucun répit n’existe ; sur le plan social, le retour lancinant de la guerre, et les termes galvaudés de l’honneur, autre nom du sacrifice et la soumission à des impératifs incompréhensibles. En pâture à la foule, la femme et l’homme n’ont plus que des comptes à rendre.
Centre névralgique de cet étau social, Okane luit d’une lumière noire. Outre le fait qu’Ayako Wakao soit objectivement l’une des plus belles femmes du monde, la pâleur de son visage n’a d’égal que l’intensité de sa présence, et des sentiments qu’elle va affirmer avec une passion croissante. Plus on prend en considération son silence et l’affolement de son visage, plus la parole collective se fait rance, notamment dans sa façon de souiller ses retrouvailles avec son mari et le devoir conjugal qu’elles occasionnent.
(Spoils)
La folie passionnelle conduit Okane à l’irréparable et au statut d’héroïne tragique : elle crève les yeux de son mari pour lui faire échapper, malgré, lui, à un retour au front et une nouvelle mission suicide. L’épreuve qui en découle permet une catharsis généralisée : la peine de prison pour Okane la renforce dans son dévouement amoureux, tandis que le ressentiment de son mari se dilue progressivement dans la haine nouvelle que lui jette au visage un village qui ne peut plus l’aduler, et qui finit par considérer comme de la lâcheté son handicap.
En l’aveuglant physiquement, Okane ouvre les yeux de l’homme qu’elle aime, et lui apprend ce que c’est que d’être un proscrit. Le final, aussi romantique que contestataire, voit donc un couple se retrouver pour mieux s’opposer à la meute, métaphore évidente de toute la société japonaise. En refusant l’exil, en assumant l’amour, les membres de la communauté deviennent la putain et le lâche, mais surtout des individus.
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Intendant Sanshô (L') - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 12 Nov 2016, 09:26

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Précis initiatique

« Au XIè siècle, quand l’homme ignorait sa valeur, cette légende nous est venue » : l’exergue de L’intendant Sansho est davantage qu’une contextualisation historique : c’est l’avertissement de la valeur fondatrice de la fable à venir. Le récit jouant des antagonismes les plus marqués va permettre, dans le parcours tortueux et torturé d’un fils, pivot d’une famille déchirée, de dessiner les contours de la part d’humanité inhérente à chaque individu.
Pétri d’une éducation humaniste dont on répète les préceptes (« un homme sans pitié n’est pas humain », « sois dur avec toi et généreux envers les autres »), Zushiô se voit confronté au pire, ses dictions éprouvés par la réalité coercitive du monde. Esclavage, prostitution, deuil jalonnent une destinée au terme de laquelle sa propre sagesse sera colorée de l’inévitable expérience.
Cette illustration des extrêmes, propre à toute légende, se marque autant dans les figures (la mère et son chant plaintif qu’on entend dans le vent, l’esclavagiste Sansho dénué de toute moralité et volontiers cruel) que les paysages : d’une forêt à la clarté lunaire qu’on croirait sortie d’un conte (et en cela très proche de l’imaginaire que développera Laugthon dans La Nuit du Chasseur l’année suivante) à l’épure d’un palais impérial, en passant par l’enfer des camps de travail, chaque espace se distingue par une existence et une valeur symbolique propre.
Car chez Mizoguchi, l’image semble être dépositaire d’une sacralité qui surpasse tous les autres moyens d’expression. Le plan fixe, largement majoritaire, instaure un cadre étudié à l’extrême, et au sein duquel les personnages vont établir leur quête. La durée du plan est de ce fait toujours justifiée, tant l’harmonie et le travail de composition invitent à la contemplation : les arbres, l’architecture, la disposition des figures disent la légende d’un monde qui serait, comme dans toute fable, lisible par des instances supérieures, et l’objet d’une initiation pour les individus qui le parcourent.
(Spoils)
La trajectoire de Zushiô va ainsi être celle du héros officiel : passé du jour au lendemain d’esclave à gouverneur, c’est en respectant le cadre qu’il veut obtenir une réparation humaniste. Sorte de Spartacus légitime, il transforme sa passion personnelle en bienfait collectif, et retrouve les traces de son père, au prix de la perte de son statut.
Puisque rien n’est acquis, et qu’il s’agit avant tout d’être en accord avec soi-même, et dans la sérénité, il aura tôt fait de redevenir un individu devant retrouver les siens, par le deuil ou l’amour. La dernière séquence, catharsis filiale, combine ainsi la partition sentimentale et visuelle : le plan s’élargit sur la mer, le panoramique amplifie les pleurs communs de deux êtres brisés par le monde, mais forts de leurs retrouvailles, une thématique très ressemblante à celle qui clôt La femme de Seisaku.
« À moins de changer le cœur humain, le monde de ton rêve ne naitra jamais », avait affirmé un moine pessimiste à Zushiô. Cet épilogue pourrait lui donner raison, à moins de lui opposer l’évolution du cœur du rêveur lui-même, qui, de la peur au courage, du ressentiment à la compassion, a su forger d’autres rêves et de nouvelles quêtes.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Mark Chopper » Sam 12 Nov 2016, 09:28

Mais en vrai tu fais comment pour ne pas t'endormir devant un Mizoguchi ?
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2016

Messagepar Nulladies » Sam 12 Nov 2016, 09:28

Mark Chopper a écrit:Mais en vrai tu fais comment pour ne pas t'endormir devant un Mizoguchi ?


La drogue, bien sûr.
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Dernière séance (La) - 6/10

Messagepar Nulladies » Dim 13 Nov 2016, 08:20

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Youngs without youth.

Le cinéma américain a très vite compris l’intérêt à s’adresser directement à la jeunesse, friande de ce nouveau média. Dès La Fureur de vivre, on va redonner à cet âge ingrat ses aspérités en évitant l’image d’Épinal au profit d’une exploration des tourments propres à cette période de transition violente. Désœuvrés, violents (Outsiders), sur le point de renoncer à leurs illusions (Stand by Me), les individus sont loin de l’image véhiculée par les rocks stars censées les représenter.
La Dernière Séance s’attache à dépeindre cette gravité. Dans un monde baigné par la radio, le film en noir et blanc commence comme une mythologie qu’on égratigne rapidement : les adultes y semblent aussi paumés que leur progéniture, le sexe est l’occasion de cruauté (notamment par le handicapé qu’on dépucelle), de manipulation triste qui déterminent des ménages voués à l’échec. La bande d’ami initiale déploie des désillusions sur une période assez longue, dans laquelle le temps n’apporte rien d’autre au moulin que la confirmation qu’être adulte consiste à renoncer.
Le film est relativement bien joué, notamment par un tout jeune Jeff Bridges assez fougueux, mais ne parvient pas à gérer son rythme : trop long (130 minutes), souvent redondant, il multiplie les sous-intrigues et les thématiques (la guerre, l’adultère, l’amitié, le monde du travail, la solidarité, le capitalisme…) sans savoir en privilégier une.
On sent bien que cette chronique pourrait durer encore bien longtemps, et les différentes destinées, le plus souvent brisées mais sans drame provoquent chez le spectateur un même défaitisme qui ne rend pas service à son empathie pour les personnages.
Bogdanovich aime changer de ton : à cette fable un peu noire succèdera, toujours en noir et blanc et toujours sur le passé de l’Amérique (cette fois dans les années 30) le sémillant et splendide Paper Moon deux ans plus tard, qui propose un regard bien plus aiguisé sur l’enfance insolente et les adultes roublards qui l’entourent.
En 1990, il reprendra les mêmes personnages pour évoquer la suite de leur destinée dans Texasville. Un projet de même longueur, et qui motive aussi peu au vu de l’enthousiasme modéré que génère ce premier volet.
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Coup de torchon - 8/10

Messagepar Nulladies » Lun 14 Nov 2016, 06:33

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Un justicier dans la bile

Une question parmi d’autres surgit au visionnage de Coup de torchon : pourrait-on encore faire des films de cet acabit aujourd’hui ?
Tiré d’un roman de Jim Thompson, le film relève d’emblée le rarissime défi de réussir son passage vers la France : en situant l’intrigue dans l’Afrique coloniale à la veille de la deuxième guerre mondiale, Tavernier crée le contexte idéal pour révéler les plus bas instincts : veulerie, racisme, appétits divers (nourriture, sexe, alcool, argent sale) motivent ainsi la petite communauté, dont le policier assure le laxisme généralisé.
Coup de torchon aligne les surprises : dans le dilettantisme de son nihilisme, tout d’abord, et qui nécessite une mise au diapason par le spectateur de façon aussi stimulante et jouissive qu’il doit le faire face au Buffet Froid de Blier sorti deux ans plus tôt. Dans son intrigue, ensuite, qui consiste comme son titre l’indique en une épuration par le meurtre qui ne fait pas pour autant de son justicier une figure héroïque. D’abord humilié, piétiné par la population locale, le personnage de Noiret, formidable, finit par provoquer une tuerie qu’il déguise en meurtres avec une facilité déconcertante tant la concentration de vices est élevée. Face à lui, de Marielle à Huppert en passant par Eddy Mitchell et Guy Marchand, on se tire la bourre pour donner à la bassesse humaine ses lettres de noblesse.
Cette revanche cathartique a tout d’un crachat jouissif à la face du monde : c’est justement parce qu’on la toujours cru incapable de quelque acte que ce soit que Cordier va pouvoir agir en toute impunité.
Rien n’échappe au regard ravageur du cinéaste : la complicité de l’Eglise (formidable scène de bricolage où l’on recloue un Christ en croix), celle des autochtones avec les blancs, des femmes, des entrepreneurs ou des criminels locaux. Puisqu’il ne reste rien à sauver, autant provoquer l’apocalypse : Cordier, à mesure qu’il massacre, s’accompagne d’aphorisme nihiliste de plus en plus percutants (« Pendant qu’on dort et qu’on mange, on se tracasse pas pour des choses contre lesquelles on ne peut rien », « On se dit que c’est par pure bonté que le bon Dieu a créé le meurtre »), sans jamais se départir de son flegme. Entre nouveau Christ et intellectuel français, son personnage qui se dit « de toute façon mort il y a si longtemps » hâte une mort généralisée qui de toute façon se presse aux portes du monde, avec l’imminence de la deuxième guerre mondiale.
Le monde touche à sa fin, et c’est tant mieux. Sorte de Règle du jeu passée par le tamis encore plus cynique des années 80, Coup de torchon fait mine de faire le ménage pour mieux exposer les souillures d’une humanité qui, décidemment, n’apprendra jamais rien.
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Convoi sauvage (Le) - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 15 Nov 2016, 06:35

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La course ou la vie.

Commençons par régler l’épineuse question du lien entre Le convoi sauvage et The Revenant, qui tous deux présentent la destinée de Hugh Glass, (ici rebaptisé Bass), trappeur en proie à l’hostile nature américaine. Une différence de taille permet déjà d’envisager les films séparément, même si la thématique du survival leur est commune : le rapport à Dieu “I’ve never much agreed with God’s will”, affirme ici le protagoniste, qui n’a pas non plus la mort d’un fils à venger, mais d’un vivant à retrouver. La dynamique s’en trouve modifiée, par l’évocation d’un double trajet : celui de ses lâches compagnons, l’ayant abandonné son sort, soumis à une forme de spirale infernale de l’angoisse et de la culpabilité, jusqu’à l’embarquement dans une rivière asséchée, et le sien, plus rectiligne
Le passé motive ainsi les deux camps : l’un, toxique, fait de Bass un véritable fantôme qui hante le capitaine, allant jusqu’à viser dans la nuit ses propres hommes ou tirer un canon dans le vide, cristallisant le vide autour d’une figure tragique qui finira fatalement par revenir. L’autre, bienfaiteur, est celui des souvenirs de Bass, de l’attachement à une forme modeste de sacré en la personne de sa défunte épouse, qui savait encore formuler quelques ébauches d’espoir dans une monde violent, un enfer sur terre dans lequel son mari refusait de faire naitre un enfant. “Sometimes I think you know things nobody knows”, lui affirme-t-il au détour d’un flash back. Fort de cette appréhension supérieure, le survivant semble pouvoir avancer.
Car le monde qu’il traverse est une comédie humaine, un carnaval aussi risible que violent. De ce point de vue, Sarafian nous offre un panorama assez proche du monde traversé par le chauffeur de Vanishing Point : celui qui trace observe avec une forme de distance une foule bigarrée et malade. A l’aspect documentaire des méthodes de survie s’ajoutent donc le portrait des indiens et des colons, dont les tueries (y compris intestines) sont souvent l’occasion d’une aide pour le protagoniste. Si l’indien mutique semble osciller entre la violence insondable et une fusion avec la vie de la nature (comme dans cette scène d’accouchement), le blanc se caractérise par un degré de sophistication poussé dans ses retranchements, jusqu’à une forme de poésie absurde : cette tâche folle du déplacement d’un bateau (qui renvoie au flamboyant Fitzcarraldo), cette aliénation du capitaine deviendront d’ailleurs l’objet de fresques chez les indiens, fascinés par cette étrangeté de l’homme supposément civilisé. De ce fait, l’épique combat final se présente à la fois comme un enjeu extérieur au protagoniste, et la matérialisation de sa présence : au milieu, et témoin, craint, menacé, et protégé par une sagesse neutre le mettant à l’abri des coups.
Nul n’est besoin d’un regard caméra qui dirait la catharsis enfin accomplie, telle que celle de Di Caprio chez Innaritu : en effet, Bass ne cherche après tout qu’à récupérer son fusil pour s’en aller cultiver son jardin, retrouver son fils, loin de la folie meurtrière des hommes aliénés par une terre dont ils se croient les propriétaires. Réconcilié avec sa mémoire, prêt à faire croître la vie.
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Lettre inachevée (La) - 8/10

Messagepar Nulladies » Mer 16 Nov 2016, 06:39

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Hostile power.

Le lyrisme soviétique de Kalatoozov a déjà fait ses preuves en temps de guerre avec Quand passent les cigognes, deux ans plus tôt, lorsqu’on l’investit d’une nouvelle illustration de la grandeur de sa patrie. Dans La lettre inachevée, il s’agit de glorifier l’action des pionniers partis dans une Taiga hostile pour prospecter la terre en vue de mettre au jour des mines de diamants.
Dans le sublime noir et blanc qui le caractérise, d’une brillance hors-pair, la photographie commence par évoquer une nature grandiose et idyllique, génératrice d’un respect poétique comme le fera le même décor dans le splendide Dersou Ouzala de Kurosawa. L’histoire d’amour d’un couple dans l’équipe (occasionnant des errances parmi les troncs qui évoquent ce puissant lien du cinéma russe à la nature, qu’on songe aux bouleaux dans L’Enfance d’Ivan ou du rare moment d’accalmie sylvestre dans Requiem pour un massacre), associée à celle épistolaire d’un troisième membre achève la tonalité romantique d’âmes en fusion avec le paysage. Une série de fondus enchainés et de surimpression qui ne craignent pas l’emphase ne cessent de donner à voir l’osmose entre les éléments, air, terre, eau et feu, d’abord admirés pour leur beautés, puis craints pour leur puissance ravageuse.
Car La lettre inachevée a bien entendu pour sujet principal le travail : les scientifiques cherchent vaillamment des traces du diamant convoités, convaincus que leur théories se vérifieront, - et par là le génie soviétique, alliant ingénierie et volontarisme physique. La peine du labeur, les contre plongées sur les corps en sueur, la rythmique des coups de pioche annoncent ce qui deviendra un véritable chant dans Soy Cuba : le lien entre l’homme et cette terre qui lui résiste avant de livrer ses richesses.
A la victoire première récompensant l’acharnement et l’endurance succède une nouvelle épreuve : celle de la fragilité de l’homme face à l’hostilité de la nature. Le film, dans sa dernière partie, bifurque vers le survival, oscillant entre le réalisme mutique du Dernier convoi et les prétentions esthétisantes de son remake, The Revenant : incendie, neige, rivière glacée, il s’agit ici de s’extraire d’un environnement inhospitalier pour rejoindre le monde industrieux, lui indiquer les gisements pour fonder une nouvelle ville. La dimension sacrificielle du rescapé, entièrement rivé à cette carte, symbole de la conquête d’un nouveau territoire, sied parfaitement à l’éloge de la grandeur soviétique, sans pour autant dénuer le film de son lyrisme élégiaque.
Puissant, excessif, toujours aussi impressionnant par sa force visuelle, La lettre inachevée est certes inféodé à un discours idéologique marqué ; mais il permet, comme dans les autres films de Kalatozov, de saisir ces éléments plus grands que l’individu, qui l’émeuvent et peuvent aussi le dévorer : la beauté de la nature, et l’ampleur du regard pour l’honorer.
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Nobody knows - 8/10

Messagepar Nulladies » Jeu 17 Nov 2016, 06:44

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Au regard des enfants

Filmer l’enfance a toujours été un défi particulièrement délicat ; entre la niaiserie condescendante et un regard d’adulte dénué d’authenticité, le point d’équilibre se fait forcément en réglant la question du point de vue. C’est là le parti-pris de Nobody Knows, qui évacue presque d’emblée la figure parentale pour se mettre au diapason de ce monde flou et fragile d’êtres en pleine construction.
La première séquence, qui voit débarquer dans une valise les plus jeunes enfants dans un nouvel appartement, cachés par la mère aux propriétaires, pourrait sembler ludique. Fantasque et un peu marginale, cette dernière rit aux éclats et pourrait presque passer pour libertaire, avant que ses absences répétées ne laisse place à un constat dramatique, celui de l’abandon pur et simple de ses enfants. Dès lors, le regard de Kore-eda va épouser la nouvelle donne : une rythmique de l’oisiveté, du silence et de l’attente, qui rappelle les belles séquences similaires entre sœurs dans Virgin Suicides ou Mustang. Décrocher d’une quête, laisser libre cours à cette angoissante libération de toute contrainte permet à l’adulte qui contemple le film une empathie, une compréhension nouvelle de l’enfance. Par la compréhension des limites de sa conscience, et l’appréhension de sa vulnérabilité.
Cette délicatesse, trait hautement japonais, et qu’on retrouvera dans un autre questionnement sur la famille, Tel Père Tel Fils, fait toute la valeur du film, rendu possible par des comédiens exceptionnels. (Yûya Yagira fut d’ailleurs, à 14 ans, le plus jeune prix d’interprétation masculin du Festival de Cannes.)
Puisque les adultes sont les grands absents (d’où le titre original, dont nous avons droit, allez comprendre, à la traduction anglais), la progression se fait dans un silence particulièrement éloquent. Longtemps cloitrés à l’intérieur, les enfants finissent par laisser entrer d’autres camarades, qui rendent poreux à la délinquance et le désordre un lieu qui jusqu’alors les préservait. La gestion, par les ainés, de la vie quotidienne se dérègle progressivement, et le seul réconfort sera celui d’une excursion à l’extérieur, libération précaire avant les premiers signes d’une véritable misère : l’hygiène, la santé et le délabrement de l’appartement.
On peut considérer Nobody Knows comme un sorte de Tombeau des Lucioles en temps de paix : il y règne la même absence, celle d’un système qui ignore les laissés pour compte, à la différence près que ce récit-là n’a pas l’argument de la guerre pour justifier l’abandon.
Cette ambivalence permanente entre la solitude des enfants et le regard bienveillant de l’adulte qui les filme génère un film d’une profonde sincérité, qui ne cède jamais aux grands effets et à la grossièreté du pathos pour faire de ses personnages davantage des êtres dignes que des victimes.
À terme, notamment dans cette séquence finale troublante de mesure, l’adulte est renvoyé à sa propre émotion, qui définit une évidence : celle de sa responsabilité. Ou comment, par l’absence et le silence, susciter des sommets d’émotion.
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Edward aux mains d'argent - 8,5/10

Messagepar Nulladies » Ven 18 Nov 2016, 06:46

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Single Hell.

Le premier plan d’Edward aux mains d’argent est étrangement familier au cinéphile qui connait son petit Citizen Kane : même exploration d’une demeure démesurée et lointaine, même approche d’un lieu hors norme dans un univers résolument fictif et dont l’ampleur sert surtout à donner la mesure à la solitude qu’il abrite. Mais si Xanadu est une île éloignée du monde, la demeure d’Edward jouxte étrangement une banlieue type des trente glorieuses, cohabitation improbable qui va structurer toute la dualité du récit.
Car si Burton dessine un personnage étrange dont il a le secret, sorte de créature de Frankenstein inachevée et à l’innocence candide, il regarde avec tout autant de fascination le monde de la norme. Dans ce monde aseptisé où chaque rôle est un archétype (le père de famille qui s’obstine à ne rien comprendre, la nymphomane ayant décatie, l’intégriste, les commères) les voitures roulent toutes au même horaires et sont colorées comme les façades, rappelant très nettement le regard que portait Tati sur son époque.
Le très fin travail plastique inscrit ainsi le récit dans un hors temps à la fois référencé (une certaine idée de la naissance des standards américains) et fictionnel, volontairement outrancier, comme pourront le faire plus tard les frères Coen dans le splendide Grand Saut : les décors de la banque, par exemple, ou cette modernité étrange donnent surtout à voir des individus en perdition.
Face à eux, Edward subit donc un récit initiatique déviant, un apprentissage accéléré de la veulerie, des commérages et de l’hystérie collective. Alors qu’il suscite l’enthousiasme de la nouveauté qui fait cruellement défaut, on lui confie un rôle de domestique qui va passer de l’inerte (les haies qu’il taille) au vivant, des chiens qu’il toilette aux femmes qu’il coiffe, et qui sous l’œil de Burton semblent appartenir à la même espèce. L’ouverture à la différence ne se fait donc pas, pour la communauté, par un dialogue avec la créature, mais par son exploitation pour modifier le seul domaine qui compte : l’apparence.
Le personnage de Winona Ryder va permettre une inflexion – fatale, évidemment – à cet ordre des choses. La vierge innocente qui se désolidarise progressivement de l’emprise américaine et virile en la personne de son brutal petit ami va porter son regard sur le cœur d’Edward, si inapte à employer les mots. De sa sculpture dans le jardin, elle ne regarde pas le résultat (à savoir un statuaire à la gloire de sa beauté), mais les scories, les copeaux de glaces qui en résultent : cette neige, splendide réponse d’Edward aux atroces tapis de feutrines que tout le voisinage installe sur ses toits à l’occasion des fêtes de fin d’année, est la première marque authentique qui tombe sur le Kim. Ce n’est pas rien qu’elle est le point de départ du conte que la femme vieillissante raconte à sa petite fille, comme tous ces récits fondateurs qui expliquent par la métaphore l’origine des phénomènes les plus vastes.
Cette neige sur laquelle on ne peut désormais plus poser un regard sans penser à la fable de Burton donne l’occasion au cinéaste l’occasion de rejoindre le club extrêmement select des réellement beaux films de Noël, au sommet duquel siège une œuvre indétrônable : La Vie est belle de Frank Capra.
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Lorenzo - 8/10

Messagepar Nulladies » Sam 19 Nov 2016, 07:34

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Science, conscience, et héroïne de l’âme.

La probabilité d’apprécier un tel film semblait infime : son affiche, son sujet, sa place dans la filmographie de Miller, davantage concerné par le fun des cascades de Mad Max ou les pas de danse glaciaire des pingouins, son esthétique encore bien marquée par les années 80… Probabilité à peu près aussi faible que celle qu’affrontent les parents du jeune garçon, atteint d’une maladie orpheline dont la recherche médicale se désintéresse.
Passons sur les inévitables détours romanesques propres à tout biopic. Ils posent néanmoins problème, puisqu’on nous expose une histoire vraie : les conclusions du récit laissent entendre que le remède a été trouvé, et que tous les enfants qui le prennent se portent au mieux. La réalité scientifique est beaucoup plus mesurée, et on ne sait pas, aujourd’hui, si la survie hors norme de Lorenzo (qui s’est éteint à 30 ans, en 2008, alors qu’on lui avait donné deux ans d’espérance de vie) est due à cette thérapie ou aux soins exceptionnels prodigués par ses parents.
Si le film est si réussi, c’est d’abord dans sa clarté : il faut, sur un tel sujet, se montrer pédagogique tout en évitant le didactisme, et les recherches poussées du père sont non seulement compréhensibles, mais finissent par en devenir palpitantes, parce qu’elles entrainent des réactions en chaine sur tous les domaines. Face à lui, la figure de la mère prend en compte la dimension humaine de la situation : acharnée à considérer son fils comme un individu, jusqu’à la radicalité face à ceux qui lui opposent un pragmatisme plus dur, elle représente le versant humaniste, voire spirituel. Si ce duo fonctionne, c’est parce que le cinéaste n’angélise pas pour autant les protagonistes. La question de l’acharnement thérapeutique, des risques, de la passion contre la raison scientifique irrigue chaque prise de décision.
Lorenzo’s oil est de ce point de vue un gigantesque puzzle moral : sur une trame résolument pathétique, qui ne nous épargne aucune des souffrances de l’enfant (les scènes de crises ou de suffocation sont vraiment éprouvantes pour tout spectateur, qui plus est si ce dernier est lui-même parent), la tragédie s’impose dans un premier temps – accentuée par un fréquent recours aux plongées - : celle d’une maladie qui fait régresser inéluctablement, jusqu’à la mort. Le nombre impressionnant de médecins et d’infirmières qui défilent, le témoignage d’autres parents permet une mise en perspective salutaire : certes, le spectateur est rivé au point de vue des parents de Lorenzo, mais on lui permet aussi de comprendre les arguments de ceux qui sont en désaccord avec eux. Si certaines questions sont moins dignes que d’autres (l’industrie pharmaceutique, le financement de la recherche médicale, la course à l’innovation à condition qu’un marché réel soit à la clé…), c’est dans les débats éthiques que le récit prend toute son ampleur. D’abord, dans la façon de soigner, que la mère (Susan Sarandon, incandescente) envisage avec une approche qui déstabilise la neutralité affichée des infirmières, à qui elle demande de parler à son fils, et non de le considérer uniquement comme un patient. En découle l’épineuse question du degré de conscience de l’enfant : le traitement trouvé permet seulement de stopper la progression, et non de guérir un être déjà coupé du monde : nombreux sont ceux qui souhaitent le voir partir plus rapidement pour abréger ses souffrances comme celles de son entourage, et le spectateur est bien mal placé pour leur en faire le reproche.
Certes, nous savons à quoi nous en tenir : si récit il y a, c’est pour donner raison à la ténacité incroyable des parents, et nourrir cette idée que ceux qui ne se découragent pas peuvent vaincre la fatalité. Mais cette leçon éculée est ici temporisée par des questions qui restent entières, notamment sur la rigueur du protocole scientifique, le nécessaire détachement du médecin face aux questions passionnelles ou encore les limites du sacrifice de l’entourage face à la maladie.
Complexe, éprouvant, d’une empathie aussi intense qu’intelligente, Lorenzo a le mérite de ne pas se limiter à une hagiographie : il confronte des individus au pire, et établit avec une grande lucidité les questions essentielles qui en découlent : si l’héroïsme n’est pas à la portée de tous, le questionnement moral, lui, est vivifiant pour chacun d’entre nous.
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Boy meets girl - 7/10

Messagepar Nulladies » Mar 22 Nov 2016, 06:31

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Mal-être sur cour.

L’appartement assez extraordinaire dans lequel loge Mireille Perrier pourrait faire figure de métaphore du cinéma tel que le conçoit Leos Carax dès son premier film : doté d’une démesurée baie vitrée, il est de fait totalement ouvert sur l’extérieur. Mais, loin de surplomber la ville, c’est une fenêtre sur cour : on y voit avant tout le couple uni que forment les voisins, tandis qu’on offre sa propre intimité plein cadre.
Contempler les autres, s’offrir aux regards : un programme visuel qui va traverser tout le film. Denis Lavant est le témoin poète d’une ville qu’il arpente de bout en bout, l’épinglant sur un mur pour en faire sa carte du Tendre. À travers lui, et dans un noir et blanc rutilant, le spectateur radiographie les territoires où se multiplient les couples et les figures insolites.
Le monde ainsi représenté a tout de la partition poétique, au risque d’être un peu figée et empruntée. Répliques littéraires, goût de l’inversion adolescente (« je ne suis bien avec les gens que lorsque je les quitte », « je n’aime que les premières fois »…), le désir d’accéder à une dimension artistique est patent, et conscient au point que le personnage lui-même écrit un brouillon avant de parler au téléphone.
Sur le plan de l’intrigue, le récit navigue, outre le fil rouge de l’amour fou qui obsède Carax (et dont la modulation sur la trahison de l’amoureuse avec le meilleur ami sera encore au cœur de Mauvais Sang), entre vols, trahisons, mensonges et tentatives de meurtre. L’incursion dans d’autres intérieurs permet aussi la visite d’une faune parisienne, inteligentsia aux accents divers et à l’âge avancé, là aussi un motif qu’on retrouvera dans la commanditaire du braquage sur le film suivant. Le regard décalé et insolite aux tonalités surréalistes rappelle ici davantage Boris Vian, par un aquarium dans une cuisine ou une salle remplie de bébés, avant que l’on ne reprenne les rails du lyrisme plus rimbaldien.
Le film ne se résume cependant pas à un catalogue stérile d’images poétiques : progressivement, le regard évolue de la description à la texture, le propos gagne en matière : le verre brisé, l’eau, le sang épaississent et dissolvent ce que les mots n’ont pu formuler.
Dans cette valse perchée, le couple est à la fois muet, contemplatif et verbeux, mais, fidèle aux principes du héros inadapté, et en dépit des circonvolutions du récit, toujours voué à l’échec.
La baie vitrée donne sur une cour : un mur, des vitres, d’autres gens heureux. Mais dans le petit carré du dessus, Carax donne aussi à voir l’infinité des étoiles.
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Mauvais sang - 8/10

Messagepar Nulladies » Mar 22 Nov 2016, 06:32

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Semelles de vent.

Après les promesses vibrantes de Boy meets girl, Leos Carax se lance à bride abattue en terre de cinéma. Mauvais sang est son manifeste, la bulle qui crève les années 80, qui plus est françaises, hissant leur esthétique vers des cimes inattendues.
Sur le terrain déjà arpenté de la romance, il propose ici une expansion qui va lui permettre de simplement jouer au poète, ou d’en affecter les poses verbales et graphiques. Dans sa présentation des personnages, la plupart de dos, ou tardant à parler, comme Binoche qui attend une grosse demi-heure avant de révéler qu’elle n’est pas muette, Carax ménage ses révélations et instaure une dynamique du crescendo. Dans un contexte de polar obscur, gangréné par une modernité qui le mine autant qu’elle le colore, la musique, le sida, le thriller scientifique et le lyrisme cohabitent avec une évidence rare.
Mauvais sang est une tentative, la plupart du temps réussie, d’envol par la poésie, sur la dynamique de cet élan fondamental qu’est l’amour fou. Les personnages sautent en parachute, courent, s’élancent à corps perdu l’un vers l’autre ou en fuite, mais avec une conviction toujours intacte. Cet affranchissement des lois de l’apesanteur se fait d’abord par les trajectoires, sur des dimensions multiples : un trajet en bus vecteur d’un coup de foudre, des virées à moto vers l’aventure, mais aussi la pratique du jonglage, du ventriloquisme et de la magie par la dextérité de mains capables de provoquer l’illusion salvatrice sur un monde bien morne.
Dans cette intrigue un brin obscure, et sur laquelle on parle par moment un peu trop, c’est la croisée des lignes qui importe : Mauvais Sang illustre avec maestria les parcours et leurs accidents, la façon dont on fend la foule, un flingue sur la tempe, ou la ville avec Bowie pour seul carburant.
Car les personnages et leur actes ne sont pas les seuls à décrocher, à détoner : chez Carax, le graphisme contamine l’univers entier : chaque façade, chaque rue, chaque devanture semble avoir été repeinte et magnifiée, éclaboussée par la vigueur des personnages qui la fréquentent. Les rouges sont éclatants, les clair-obscur à la lisière de l’expressionisme, et composent l’écrin le plus pertinent aux figures mythologiques que représentent le rimbaldien Denis Lavant, la préraphaélite Julie Delpy, le picassien Piccoli ou la brooksienne Binoche, et qui tous servent l’adage proclamé par le film : « Il faut nourrir ses yeux pour ses rêves, la nuit. »
Un tel chapelet d’audace pouvait menacer l’équilibre de tout cet édifice en partance vers les hautes sphères : une esthétique ancrée dans son époque, et qui risquait de ne pas lui survivre, une dimension littéraire un peu figée, une jeunesse folle qui irriterait les blasés. S’il n’en est rien, c’est grâce à la sincérité totale de son auteur, à son humour aussi (certains échanges sont vraiment drôles : « - C’est Cocteau ! - Cocteau est mort. - Non, il a bougé ! »), et à cette quête d’un indicible qui pourrait passer par l’image. Une ville métamorphosée, des visages sublimés, une musique exploitée pour sa capacité à transpirer l’émotion pure. Cet au-delà, ce sublime des poètes, exprimé par l’auteur lui-même : « Cette chose comme une énigme et dont l’amour mourra si elle est résolue ».
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