Herbes flottantes / Yasujirō Ozu (1959)
Pour commencer : un peu d'histoire cinématographique japonaise afin de comprendre la spécificité de ce film de Yasujirō Ozu au sein de son œuvre.
Masaichi Nagata, président de la Daiei et principal artisan de la diffusion du cinéma japonais en Europe dans les années 1950-1960, initie en 1953 l'
accord des cinq compagnies - un accord signé par les principaux studios de cinéma japonais d'alors (la Daiei, la Shōchiku, la Tōhō, la Toei et la Shintōhō) pour lutter contre la concurrence d'un autre studio : la Nikkatsu. Cet accord interdit l’embauche et le prêt occasionnel d’acteurs et de réalisateurs entre les dites sociétés. Des contrats d'exclusivité donc, qui ont parfois brisé des carrières car, en cas de conflit avec son studio, un réalisateur ou un acteur ne pouvait pas se faire recruter par la concurrence.
La Nikkatsu rejoint l'accord en 1958 et le prêt occasionnel devient alors possible. C'est dans ce contexte qu'Ozu, qui a rempli son contrat d'un film par an avec son studio de toujours la Shōchiku et fait tourner une actrice de la Daiei, réalise son unique film pour ce studio :
Herbes flottantes. Ce remake d'un de ses films muets des années 1930 va lui offrir l'occasion de casser un peu ses habitudes et de faire respirer son cinéma...
Ozu quitte Tokyo, décor récurrent de ses films, pour un petit village en bord de mer et oublie la classe moyenne qui était au coeur de ses préoccupations au profit d'une troupe de théâtre itinérante et fauchée. Certes, il n'abandonne pas son thème fétiche - la famille (©Dominic Toretto) - mais le fait de jouer avec les acteurs stars de la Daiei plutôt qu'avec les habitués de son cinéma (même si Chishū Ryū vient faire coucou le temps d'une scène) donne à ce film une saveur particulière. J'avoue ne pas trop aimer l'interprétation constipée (du Wes Anderson avant l'heure) dans ses films tournés pour la Shōchiku, mais ici tout semble plus naturel (le jeu d'Ayako Wakao et de Hiroshi Kawaguchi notamment). Le cinéaste, toujours adepte des plans tatamis symétriques (du Wes Anderson avant l'heure bis), offre dans
Herbes flottantes des compositions inédites et sublimes, bien épaulé par le chef opérateur Kazuo Miyagawa dont le travail flatte la rétine - mention spéciale à la dispute entre Ganjirō Nakamura et Machiko Kyō séparés par un rideau de pluie, une scène qui change de ses soporifiques dialogues filmés en champ/contrechamp face caméra.
Dommage que le rythme de ce film doux-amer - qui par ailleurs ne manque pas d'humour - laisse à désirer dans sa deuxième heure... Mais il s'agit bien à mes yeux du meilleur film de son auteur avec
Bonjour. Mieux vaut découvrir le cinéma d'Ozu avec ces deux films, à mon sens, plutôt qu'avec son
Voyage à Tokyo si souvent cité.
Note : 7,5/10