Je suis assez étonné pour le coup avec ce film car il a beau avoir été produit dans une période très qualitative d’Harold Lloyd (entre
The Freshman et
The Kid Brother pour être précis), je n’avais aucune attente particulière car je n’en avais tout simplement pas ou peu entendu parler. Du coup, quand je me rends compte à la vision que c’est clairement dans le Top 5 des films de l’acteur, la surprise est de taille. L’étonnement est doublé dès le début du film avec des premiers plans qui créent un écart formel par rapport aux précédents Harold Lloyd, avec des mouvements de caméra compliqués, et des idées narratives (le fondu enchaîné entre deux tasses de café pour créer la transition d’un quartier pauvre à un quartier riche). Non pas que les précédents métrages manquaient de ce genre de choses, mais ici c’est nettement plus raffiné, travaillé, élégant.
Et pour le coup, je ne peux m’empêcher de penser que cela a sûrement à voir avec la rude compétition qui se joue à l’époque, puisqu’à ce moment là Buster Keaton est au sommet de sa popularité, et à mon sens il y a une volonté de la part de Lloyd de se rapprocher d’une forme de comédie très visuelle, et ça me paraît d’autant plus évident que, de tous les films de Lloyd vu jusqu’ici, celui-ci est clairement celui qui pourrait se faire passer le mieux pour un Buster Keaton. Ainsi, on a beau avoir un pitch très simple, classique pour du Lloyd (un riche gringalet va tomber amoureux d’une jeune femme pauvre, et devenir du jour au lendemain un philanthrope histoire de gagner son coeur), c’est du côté des péripéties que ça devient intéressant, avec un rythme soutenu qui enchaîne les moments comiques mémorables : la voiture réquisitionnée par les flics, Lloyd qui doit ramener des brigands dans une mission catholique

, la fouille à la recherche de la montre

, Lloyd qui goûte les “gâteaux”

.
A cela se rajoute une réelle volonté de Lloyd d’impressionner son public, à la manière de ce que fait Keaton à grand renfort de cascades en tout genre, et sur ce point on est bien servi car déjà que la bagnole détruite par le train au début est assez impressionnante, ce n’est rien par rapport à l’énorme course-poursuite finale, gros climax d’action comique d’une quinzaine de minutes où Lloyd doit ramener des mecs bourrés sains et saufs à un mariage, et qui se finit aux commandes d’un bus où toutes les cascades possibles sont faites, on dirait du
Mad Max : Fury Road 90 ans avant

. La qualité générale m’étonne d’autant plus que c’est à priori un film qui a connu des soucis de production, forçant Lloyd à couper des séquences du film (ce qui explique sa courte durée par rapport aux autres films qu’il faisait à l’époque) pour les placer dans un métrage ultérieur, ce qui fait qu’il n’était pas très content du résultat de celui-ci, et pourtant y’a pas à chier : c’est clairement l’un de ses films les plus réussis, inventifs et drôles. Si vous voulez une super comédie de moins d’une heure,
For heaven’s sake est un excellent choix.